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Guerre d'Algérie: témoignage d'un ancien appelé du contingent de 1961-1963

En 1962, je ne me promenais pas au Bitcherland, mais j’étais en Algérie avec 400 000 autres appelés pour combattre les Fellaghas et l’OAS. C’était pour le maintien de l’ordre, mais en réalité c’était une guerre qui a duré 8 ans de 1954 à 1962.




Le rêve d'une "décolonisation en douceur"

Pourtant Ferhat Abbas voulait une décolonisation en douceur". C'est pourquoi il publie en 1943,  le "Manifeste du peuple algérien", qui réclame l’égalité entre Musulmans et Européens, une réforme agraire, la reconnaissance de la langue arabe et une "République autonome". Puis il jette l’éponge en 1951.  "Il n’y a plus d’autres solutions que les mitraillettes", s’attrista-t-il. "Toute sa vie, Abbas aura rêvé d’une décolonisation en douceur",  écrit Charles-Robert Ageron dans Genèse de l’Algérie algérienne .


Le maintien de l'ordre se transforme en guerre


 Elle a opposé l'armée française à des insurgés nationalistes algériens regroupés dans l'ALN (Armée de libération nationale) encadrée par le FLN (Front de libération nationale). 

En Algérie, quatre départements français, les indigènes n’avaient pas les mêmes droits que les Européens. Comme l’injustice mène toujours à la révolte, la première commença à Sétif et à Souk-Arhas le 8 mai 1945, et  le 1er novembre 1954, tous les opposants  créent le FLN et commencent à commettre des attentats.


Le départ des conscrits

En février 1956, les appelés partent pour l’Algérie pour le maintien de l’ordre. Le 19 mars 1962 à midi, c’est le cessez le feu, le 5 juillet 1962,  c’est l’indépendance suite au référendum. Et le service militaire à 27 mois est à nouveau ramené à 18 mois, et c’est le rapatriement  d’une partie de l’armée française. Durant cette guerre d’Algérie près de  30 000 militaires ont été tués et 65 000 furent blessés et 652 ont disparu. Après le cessez-le-feu de nombreux militaires ont été enlevés et ont  été portés disparus. Du côté algérien, les morts ont  également été nombreux. 


Appelé


Le 1 er septembre 1961, je suis appelé sous les drapeaux à la caserne Niel de Verdun au 164 R.I. pour 27 mois, et non mobilisé.  Grâce à la fin de la guerre en 1962, je suis libéré au bout de 18 mois. Mon père a été mobilisé à la guerre de 14/18 en tant que soldat allemand et en 1939 en tant que soldat français, et mon frère  en 1944-1945 dans l'armée allemande. Il faut rappeler que la Moselle a été annexée par l'Allemagne de 1871 à 1918 et de 1940 à 1945. Tous les deux ont été faits prisonniers par les Anglais. 


Arrivée à la caserne


Le premier  jour, chacun passe chez le coiffeur qui coupe les cheveux comme s’il tondait un mouton, cela ne dure que trois minutes. Chacun touche son paquetage, des habits qui ne sont pas tous à notre taille, les chaussures sont des brodequins cloutés et des guêtres comme en 1939/1940.




Dans ma section au 16/4 à Verdun, on porte des brodequins à clous et des guêtres en toile. Joseph est le dernier à droite dans la rangée du milieu


Durant les classes en section des candidats EOR, être officier n’était pas mon but, j’ai dû faire le CA1.  Pendant ces 4 mois, j'ai découvert les champs de bataille où mon père a combattu de 1916 à 1918 en tant que Malgré-nous lors de la première guerre mondiale. Les combats y étaient rudes, de plus avec une nourriture insuffisante, il  a beaucoup souffert de la faim, du froid et de la vie dans les tranchées… Il gardait les mêmes vêtements  durant un mois sans les changer.





Un bivouac près du fort de Douaumont en décembre 1961. Les tentes ouvertes  nous protégeaient uniquement de la pluie, mais pas du froid, car elles étaient ouvertes.


 




 Alors qu'à Verdun, lors des classes, nous avons souffert du froid,  en Algérie ce sera la chaleur torride, particulièrement à la ferme Cheymol où beaucoup sont tombés malades et ont dû être rapatriés.


 Désigné d’office


Le 20 décembre 1961, je me retrouve sur la liste de ceux qui doivent rejoindre l’Algérie, alors que ce n'était pas mon souhait. Appelé ou mobilisé, je n'étais plus libre de mon emploi du temps; il m'était imposé. 

Ayant assisté  aux  combats et aux bombardements en 1944-1945. Je ne voyais pas ce que je devais faire en Algérie, où  certains se battaient pour l'indépendance, comme les résistants français durant l'occupation allemande. Pour moi, cela se passera comme en Indochine, il faut d'abord des morts, avant d'arrêter les combats.

Mon beau-frère Alphonse a participé à la guerre d'Indochine où la France  s'est retirée après la bataille de Điện Biên Phủ qui a été le dernier affrontement majeur de la guerre d'Indochine. Cette défaite des forces françaises a accéléré les négociations engagées à Genève   pour le règlement des conflits en  Asie  (Corée et Indochine).  Il y a eu  500 000 morts en tout, dont 75 000 Français. 


Les dispensés


Etaient dispensés d’y aller: 

- ceux qui n’ont  pas supporté les piqûres, 

- ceux dont un membre de la famille était mort à la  guerre cde 39/40 et les soutiens de famille  

- ceux qui sont indispensables pour l’entretien des casernes

- certains, suite à des combines louches  ou des interventions diverses auprès des autorités militaires ou politiques

En somme, la très grande majorité des appelés du contingent était destinée à participer à la guerre d’Algérie malgré lui.  


La  grande déception de la famille


Quand je rentre en permission de détente à Noël 1961, j’en informe mes parents et mes frères et sœurs, tout le monde pleure, et particulièrement ma mère, pour qui c’est la quatrième guerre.  

- Mon père, né en 1896, est mobilisé dans l’armée allemande  en 1916. Après ses classes, il est de suite affecté à Sedan, puis à Verdun, en 1918, il est fait prisonnier par les Anglais qui ne sont pas très tendres avec les Allemands.  En captivité, il est tombé malade, c’est une pneumonie qui a été mal  soignée. Il en portera les séquelles durant toute sa vie.  

- Fin août 1939, il est à nouveau mobilisé à Dieuze. A Noël 1939, il est renvoyé dans ses foyers, car il est père de cinq enfants Il a fallu l'intervention du maire de Brie où la famille était réfugiée.

- En février 1944, durant notre expulsion à Manhoué, mon frère René, âgé de 17 ans, malgré nous, est incorporé de force par les Allemands, il est affecté dans la marine en Norvège. De juillet 1944 jusqu’au 1er octobre 1945, les parents n’ont eu aucune nouvelle de lui  jusqu’au  jour où il se présente chez ses parents  à Dieuze.

Le père et le fils aîné sont revenus des guerres, et voilà que le plus jeune fils doit de nouveau partir à la guerre, mais pour le gouvernement ce n'était que du maintien de l'ordre jusqu'en 1999. En 1958 on y comptait 450 000 militaires  en Algérie. 

Comme pour les deux premiers, il faudra aller faire 







une photo chez le photographe, avant de rejoindre l’Algérie au cas où...


Départ pour l’Algérie


Je partais vraiment à contre coeur en Algérie. Je dois accomplir mon devoir en participant à une guerre « sans nom »...  J’avais lu à l’école normale « Les cahiers de Témoignage chrétien » où Jean Muller révèle aux Français dans ses lettres l’usage de la torture en Algérie. Ce m'horripilait.

En face de l'étable où je logeais à Kellermann, se trouvait un réduit avec une porte à barreaux de  fer qui servait de prison pour les prisonniers. Au milieu de ce local, il y avait une "gégenne" (générateur électrique portatif  qui servait à faire parler les prisonniers d'après les anciens.) Durant mon séjour à Kellermann, il n'a jamais servi,  car il n'y a jamais eu de prisonnier.

Cela m’a rappelé les tortures subies par deux cousins au Fort de Queuleu à Metz par les Allemands, car ils avaient fait passer en zone non occupée des prisonniers de guerre français. Heureusement durant mon séjour, il n’y a pas eu de tortures pratiquées dans ma compagnie. 

Pour l’Etat, c’était pour le maintien de l’ordre, alors que tout le monde parlait de guerre. On ne fait pas la guerre contre les habitants indigènes d’un pays. La France  a  déjà  dû capituler en Indochine. 

Après une permission de détente de 15 jours, je rejoins Verdun le 5 janvier 1962, d’où nous prenons le train le 6 janvier dans des wagons de troisième classe avec des banquettes en bois et après 24 h  de train, nous arrivons à la gare Saint-Charles de Marseille.

Nous passons trois jours dans le camp de transit Sainte-Marthe qui en fait était un centre d’accueil. Ce sont des baraquements avec deux rangées de lits à trois étages.

Nous en profitons pour découvrir   Marseille et bien sûr la fameuse rue des maisons closes. Certains s’y aventurent.


Embarquement pour l’Algérie


Le 10 janvier 1962, nous embarquons dans le paquebot El Djezaïr. A peine sorti du port, une tempête se lève, tout le monde doit quitter  le pont pour la cale. Nous avons voyagé comme du temps des esclaves, à fond de cale sur des chaises longues. Comme la mer a été déchaînée durant toute la traversée, presque tout le monde a été malade, les vomissures ont rendu  le sol glissant. Comme le bateau a tangué nous avons glissé sur nos chaises longues à gauche  et à droite, en avant et en arrière. Grâce au Schnaps que mon père m’a donné, mes trois camarades et moi restons en pleine forme. Après 19 h de traversée par une mer déchaînée, nous débarquons à Bône (Adiba). 





Cartographie Hugues Piolet


Après le débarquement, nous passons une demi-journée à la Tabacoop, puis en train nous rejoignons Guelma.  Il roule  à environ trente à l’heure. 

J'arrive dans une région où la résistance a été vive. Il faut rappeler que   Ferat Ababs pour créer une Algérie  indépendante y habitait 

Je suis affecté à la 4 ème compagnie du 151 RIM, stationnée à Kellermann. C'est un petit village, faisant partie de la commune de Guelma. La compagnie est composée de cinq sections d’appelés et une section de harkis. Elle est commandée par le capitaine ORSA (Officier de réserve en situation d’activité) Jean Mouchot. Il a habité dans une villa avec son épouse et ses deux filles.  Il est très apprécié par ses hommes. Une section occupait  un poste à la Mahouna et une autre près d’un regroupement où un militaire faisait classe sous une tente. Bien qu’en guerre, la solde mensuelle de  l’appelé deuxième classe n’est que de 9 NF, après 18 mois,  55,20  NF et après 24 mois, 96 NF. Cela devait servir pour acheter le savon et le dentifrice. Alors qu’en France, l’appelé était nourri et blanchi, en Algérie, il était seulement nourri. Il fallait faire soi-même la lessive et la vaisselle. Avec le prêt reçu, l’appelé a été pauvre et sans ressources, surtout quand les parents ne lui envoyaient pas de mandats. Certains de mes camarades qui travaillaient dans les mines de charbon n'ont pas eu besoin d'aller en Algérie. Après quatre mois de classe, ils ont été libérés et ont touché un salaire alors qu'en Algérie, on ne touchait que 7 NF. Ils gagnaient de l'argent et  n'avaient aucun ennemi à craindre.


Kellermann


Ce qui me choquait en arrivant, c’était la différence de vie  et d’habitat entre les Européens et les Algériens.




L'école et l'église de Kellermann


En 1962, sur 10 millions d’habitants, 2 millions sont regroupés au tour d’un poste de l’armée. 9 millions sont des Algériens de souche et un million d’Européens.

Kellerman est un village à une rue, une école, une église, une mairie, une petite épicerie et un camp  





Un poteau téléphonique à côté des mechtas


de regroupement de mechtas dans lesquelles 





Une Algérienne avec ses enfants devant sa mechta


habitaient  les familles  algériennes indigènes. Ces gourbis étaient construits avec des branchages et de la paille et du torchis. Les trous étaient colmatés avec de la terre ou  avec  de la bouse de vache.





Le regroupement de Kellermann


Elles étaient recouvertes de chaumes. La fumée du feu traversait le toit en hiver, car il n’y avait pas de cheminée. Ils avaient très peu de meubles. La nuit, ils couchaient à terre sur des tapis. Les femmes cuisinaient et chauffaient leurs plats sur un trépied rempli de charbon de bois. Certains Algériens  plus fortunés ainsi que les harkis habitaient dans des maisons. 

Pendant mon séjour, tout un quartier a brûlé. Quand les pompiers de Guelma sont arrivés, ils ont réussi à arrêter la propagation du feu. Dès que le feu s’est déclaré tout le monde a déposé  le peu de meubles et les tapis dans la rue.





Après l'incendie


Activités des habitants





Un puits qui sert à irriguer les champs.  La pompe est actionnée par  un animal qui tourne autour du puits en poussant le  grand bras.


Beaucoup ont travaillé chez les Européens, d’autres sont paysans. Les outils des paysans ont été  très rudimentaires. On y bat encore le blé sur une aire où l’on fait marcher les vaches sur les gerbes ouvertes. On herse avec des branches. Les Européens habitent des maisons et cultivent de la vigne, du blé et des orangeraies. 


On  a vu  surtout  les femmes algériennes qui ont  travaillé, qui ont ramené sur le dos le bois mort pendant que les hommes ont palabré sur la place du village. Beaucoup se sont ravitaillés dans les poubelles des militaires. 

Une fois par semaine, les habitants  allaient  à Guelma.






Les brêles restaient sur place sans être  attachées


 Alors que les hommes    allaient au marché  les femmes avaient d'autres occupations. Habillées de noir,  elles montaient un âne de petite taille que tout le monde appelait brêle. Quand elles venaient au bureau de la compagnie, le visage était recouvert d’une dentelle. Une fois à l’intérieur,  elles enlevaient la dentelle et montraient leur visage. Seules les femmes étaient toujours habillées en noir, alors que les aînées avaient des robes et des coiffes de couleurs. Les enfants marchaient pieds nus même dans la neige en hiver.



Vie journalière


J’ai travaillé au secrétariat de la quatrième compagnie du 15/1 du capitaine Jean Mouchot (ORSA)avec Daniel Goichon et Henri Brizais. C'était un régiment d’infanterie motorisée avec des Half-track.





C'est l'abreuvoir devant notre étable-dortoir, où l'on faisait la toilette, laver le linge et la vaisselle


Le dortoir est installé dans une étable, il n’y avait pas de vaches, mais des punaises de lit. On ne les voyait pas durant la journée, mais la nuit. Il suffisait d’allumer la lumière et on en  voyait  une multitude sur le sol. Nous dormions dans un lit gigogne avec un sac de couchage, réalisé avec un drap. Ce n’est pas agréable de coucher dans un sac de couchage quand il fait très chaud. Pour dormir, il fallait  mettre une ceinture de flanelle pour que le ventre n’ait pas froid le matin, car les écarts de température étaient très  grands en été entre le coucher et le lever du soleil. Sinon, on avait des problèmes digestifs le matin. La toilette se faisait en plein air à l’abreuvoir.


La vie de soldat


Le deuxième jour de mon arrivée, j’ai participé à une opération dans le djebel avec toute la compagnie. Comme nous étions nombreux, je n’avais pas peur. C’était la mise en condition.

En tant que 2ème classe, je devais monter toutes les nuits la garde pendant 2 h dans une tour munie 





C'était dans cette tour que j'ai monté la garde 


d’un projecteur, et comme arme, j’avais un fusil de chasse, et 5 cartouches enfermées dans un sac cousu. 

Il n’ y avait pas de douche, alors qu’il faisait chaud. Il y en  avait une, uniquement réservée  aux gradés qui la prennent   dans une  cabine surmontée d’un fût de 200 l. J’ai seulement pu l’utiliser quand j’étais caporal.                                 

L’eau est chauffée grâce à l’essence versée dans un casque lourd. Lequel sert à faire la lessive, des frites, et à se protéger la tête. Chacun porte deux casques, un léger, recouvert d’un casque lourd en métal.

   

Il faut prendre tous les jours de la nivaquine contre le paludisme. J’ai eu très souvent la diarrhéen amibienne, car l’eau potable était infectée de bacilles et de têtards. J’ai encore maintenant des bacilles dans mes intestins, d’où l’interdiction de retourner en Afrique. 


Missions dangereuses


Quand le major, l’intendant de la compagnie a eu la jaunisse, il a été rapatrié. C’est moi qui l’ai remplacé pour m’occuper du ravitaillement du foyer,  de la comptabilité    et du secrétariat etc… Je ne suis jamais allé en opération, mais j’ai dû  souvent aller à Bône et à Guelma pour ravitailler la compagnie. Par contre,  quand nous faisions les120 km pour aller au ravitaillement à Bône,   nous n'étions qu’à deux dans le GMC, le chauffeur et moi, nous n'étions   pas rassurés.  Si nous tombions dans une embuscade, nous aurions été cuits. Il en était de même pour Guelma distant de six kilomètres. Quand un Half-track était libre, nous l’avons utilisé pour y aller, surtout quand on allait chercher le prêt des appelés et des Harkis. Au quartier de la vppagniet du du PC, j'étais plus ou en sécurité, mais pas dans tous mes déplacements à Guelma ou à Bône. Une seule balle suffisait voire même être arrêté et disparaître.



La dure séparation


Chaque semaine, j’ai écrit à mes parents, et c’est ma mère qui me répondait. Les lettres la rassuraient, car elle n’a pas oublié la période de 1944 à 1945 où elle était sans nouvelles de son fils René pendant plus d’un an. A Kellermann, nous étions au courant de rien de ce qui se passait en France ou dans le monde. Pas de journal, pas de radio. L'unique téléphone ne servait que  pour des cas urgents.  A part les lettres de  ma mère, je n'avais aucun contact avec la famille et la France. Cet isolement m'a beaucoup pesé, sans mes deux amis Daniel Goichon et Henri Brizais du bureau, j'aurais eu le cafard plus souvent. Cela me pesait d'autant plus que d'après  mes études en histoire  me confirmaient que l'occupation d'un pays n'est jamais acceptée par les indigènes dont les plus courageux se révoltent et organisent des attentats aussi longtemps qu'il est occupé. Il en était de même en France de 1940 à 1945, durant l’occupation par les Allemands.


Cessez le feu


Le premier mars 1962, je suis nommé caporal, et à partir de ce jour, je n’ai plus eu besoin de monter la garde en tant  que secrétaire. C’était très appréciable. Le 18 mars une section  est encore allée en embuscade durant la nuit alors que le matin du 19 mars, les radios nous apprennent que le cessez-le feu est fixé à 12 h. Tous les appelés font ouf. Huit jours après le cessez-le feu, la compagnie est dotée d'un fusil à infra-rouge. J'ai été envoyé à Constantine pour suivre un jour de stage et pour connaître son fonctionnement exact, alors qu'on n'avait plus le droit de s'en servir. Il était particulièrement conseillé pour les embuscades de nuit aux entrées des regroupements. Comme le cessez-le feu a été décidé, on ne s'en est pas servi. 


Désertion d'une compagnie 


En avril, toute une compagnie formée de soldats algériens déserte avec tout le matériel et les armes. On ne bouge pas. Ce qui est plus grave, les appelés ont maintenant à craindre l’OAS. Les appelés ne comprennent pas pourquoi, les Européens les attaquent. Le 22 mars l’OAS a tué   six appelés  et blessé plus de dix. En répression, lors de la fusillade de la rue d’Isly  il y eu 46 morts et 150 blessés. A partir de cette date le départ des pieds-noirs vers la métropole s’accélère. A Kellermann, tous les Européens partent sauf un retraité qui vit seul dans sa maison. Il n'a plus envie de quitter sa maison natale.



Le sort des harkis


Il était proposé aux  43 000 « harkis »   la démobilisation avec un pécule, l'engagement dans la force locale ou dans l'armée et, pour certains, un poste dans les nouveaux Centres d'aide administrative, remplaçant les Sections administratives spécialisées.  Enfin, tous les personnels libérés pourraient demander à bénéficier d'un reclassement en métropole, qui devrait être au préalable étudié et préparé méthodiquement. Ces décisions furent précisées le 8 mars et mises en application par un décret le 20 mars, deux jours après la signature des accords d’Évian.


Que faire?


C’est une période trouble pour les   harkis. Ils ne savent pas toujours quelle décision prendre. Certains de notre compagnie  désertent avec des armes. C'est le seul moyen d'avoir la vie sauve.  Au courant du mois d’avril, les harkis sont licenciés plus ou moins abandonnés par les autorités françaises. Des Algériens en ont profité pour commettre des exactions  dont les harkis sont particulièrement la cible. Il en fut de même  lors de la libération de la France.




Dissolution des régiments


Des régiments commencent à être dissous, nous quittons Kellermann sans les harkis.


Avant de rejoindre  la ferme Medgez Amar, il faut brûler le superflu du magasin d’habillement. Quel gâchis! A cette ferme j’y rencontre Joseph Bach d’Achen et Nicolas Meyer de Volmunster. Nous logeons  au grenier.

On y a fêté  Pâques. Comme nous n'avions pas de poisson pour le Vendredi saint, une grenade défensive  est jetée dans l’oued par un gradé engagé. Puis nous ramassons les poissons à la main. Le dimanche 22 avril, c’est   Pâques, un aumônier vient célébrer une messe. Ce sera l’unique messe durant mon séjour en Algérie. A  cette ferme nous avons fait connaissance du sirocco. Nous avons dû mettre nos appareils photos dans des sachets nylon. 


Vers la fin mai nous quittons, la ferme  pour Penthièvre  Nous avons droit à un beau bureau où nous avons pu installer nos trois lits. En face, tous les jeudis a lieu un grand marché où l’on peut tout acheter, des poules, des moutons, du linge.  Ce qui m’a  beaucoup frappé, c’est le boucher qui venait le matin très tôt et tuait un à deux moutons sur place. Il posait les morceaux  sur son étal  et les mouches volaient en masse autour de cette viande fraîche.


Incendie à Bône


Le samedi 18 juin,  je  suis allé au ravitaillement à Bône,  je constate que de nombreux mariages attendent devant la mairie de Bône.   Au foyer du soldat, on m’apprend que l’OAS avait envisagé d’y mettre le feu. Effectivement, le mercredi 22 juin à 17 h la mairie de Bône  brûle...   Deux charges de plastic ont mis le feu et détruit ce bel édifice. Plus de toit, de plafonds, de vitres, d'archives. Il ne reste plus que les murs et le rez-de-chaussée. Depuis, la ville a rénové la mairie, mais avec un toit plat.






                                                                                     Carte postale

La mairie de Bône avant l'incendie



De là, nous sommes partis pour Penthièvre. Nous sommes chargés de la surveillance des lignes  électrifiées Morice et Challe. A chaque déménagement, nous nous débarrassons du superflu.


Indépendance


 

Au moment du référendum le 1 er juillet, le soir cela a été la fête et des manifestations des Algériens à travers les rues de Penthièvre…






Le soir du 1er juillet 1962, les Algériens défilent à Penthièvre


On entendait les youyous des femmes  pendant toute la soirée, car la majorité a voté pour  l’indépendance. Nous n’avions pas le droit de sortir. 

Nous quittons alors Penthièvre pour Mondovi, 

c’est un grand village où Albert Camus est né. Les Pieds noirs, c'est-dire les Européens, continuent   à quitter le pays et des familles de harkis se font massacrer. Quand on nous a signalé des familles en détresse, les militaires sont allés les récupérer avec des GMC bâchés et les ont emmenés  à Bône afin qu’ils puissent rejoindre en paquebot la France. Cela me faisait beaucoup de peine.


Affecté au PC Colonel


Le 4 août 1962 j’ai eu  l’unique  permission de 23 jours. J’ai pris le bateau à Bône. Pour la traversée  j’ai loué la cabine d’un matelot  pour 20 NF. Ainsi la traversée était plus agréable. Comme il faisait beau, on pouvait monter sur le pont. Quand je suis rentré, j’ai  aidé mes parents à terminer la moisson.  A mon retour au 15/1, la 4 ème compagnie est déjà dissoute, je suis affecté au PC Colonel comme secrétaire général. J’ai surtout travaillé avec le Colonel Guy et le commandant Hedan. Comme la caserne de Guelma a été livrée à l’armée algérienne, le PC du 15/1 occupe désormais, la ferme Cheymol où se trouve également le stationnement des hélicoptères bananes.




La ferme Cheymol


Alors que jusqu’à présent, nous avons logé  dans des bâtiments, ce ne sera plus le cas à la ferme Cheymol. 





Le dortoir à la ferme Cheymol et un Half-track. On voit la tente sous le tunnel en tôle arrondie.


Des lits de camp, sans matelas, sont installés sous des tentes militaires, installées sous un tunnel en fer où la chaleur est suffocante.

Comme il y fait chaud, beaucoup   ont eu la jaunisse et ont été rapatriés.  Heureusement que le bureau a été installé dans un bâtiment où il faisait moins chaud. Nous y sommes restés jusqu’au rapatriement du régiment.


Rapatriement


Au mois de septembre, par un courrier ultra secret, que j’ai remis aussitôt au colonel, j’ai appris que le Régiment devait rejoindre la métropole avant la fin de l’année.

Un élément précurseur a rejoint la caserne Serret à Châtel-Saint-Germain  en Moselle pour  préparer notre venue et préparer les bâtiments avec de jeunes appelés.

Deux cargos sont chargés du matériel militaire et de nos valises, et nous embarquons dans un paquebot uniquement avec notre sac marin et une arme.

Le jour du départ de la ferme Cheymol pour la France,  une trentaine de soldats algériens s'étaient postés autour de la ferme. C'était impressionnant et inquiétant.


Dernière traversée


La traversée  de la Méditerranée se fait  le 13 décembre 1962 par une mer calme. Avec mon camarade Henri Brizais, j’ai  loué une cabine de matelot où nous avons dormi tête-bêche dans le lit de 80 cm  de large

Nous avons  débarqué le lendemain  à Marseille où un froid glacial nous a attendus. Quand nous sommes arrivés à Metz, il a fait - 15 °, le sol de la cour recouvert de neige  est gelé, la caserne est froide, il n’y a pas de chauffage central.


Une marche contestée


Le capitaine Crevon de la compagnie de services me reproche pour avoir fait marcher les hommes de la section sans cadence sur le verglas, alors qu'on devait marcher au pas. Comme, il n'osait pas me punir pour cette raison, il a fait une révision de chambre et me donne 10 jours de consigne pour les anciennes bosses dans le tuyau du poêle. No comment.


Libération


Je suis libéré à 18 mois, le 27 février 1963, et le 1er mars j’ai rejoint l’école à Volmunster où 33 garçons de 6 à 14 ans  m'attendaient. Il fallait préparer l'entrée en sixième et le certificat d'études. A la fin de l'année, tous les élèves présentés aux examens ont réussi. A cette époque, au cours de l'étude surveillée de 16 à 17 h, je m'occupais particulièrement de ceux qui se sont présentés à l'entrée en 6me et ceux qui ont passé   l'examen de fin d'études. 


Ancien combattant


On m’a attribué la carte d’ancien combattant le 5 janvier 1982 pour le maintien de l'ordre. En réalité, est-ce logique qu'on attribue une carte de combattant pour  le maintien de l'ordre? Par contre la  Loi n° 99-882 du 18 octobre 1999 relative à la substitution, à l'expression " aux opérations effectuées en Afrique du Nord ", de l'expression " à la guerre d'Algérie ou aux combats en Tunisie et au Maroc "devrait y donner droit. Hélas le bénéfice de la campagne double au titre des services militaires a été refusé, car il n’y avait que 10  jours de combat lors de mon séjour, mais 11 mois en danger continu. Ce refus a été voté par des élus  qui n'ont jamais porté de treillis et qui n'ont jamais vécu la guerre. "On se moque vraiment des appelés qui ont été traumatisés par cette guerre d'Algérie qui ne devait être qu'un maintien de l'ordre. " m' a dit un camarade, ancien combattant."

Plus de 25 600 militaires appelés  se sont faits tuer sans combat, 65 000 ont été blessés et  652 ont disparu sans combat.  Nous vivions en danger de mort pendant toute notre séjour en Algérie. Ceux qui y étaient le savent, et ceux qui n'y étaient pas le contestent. Le bénéfice de la campagne n'est pas un privilège, mais un droit pour ceux qui ont fait leur service militaire durant la guerre en Algérie. 


En somme, l'Algérie  étaient quatre départements français où les Européens avaient plus de droits que les Algériens. La devise  Liberté, égalité, fraternité, n'était pas appliquée. Il aurait fallu écouter la population algérienne dès 1943.

Nous avons participé à une guerre pour rien où de nombreux jeunes hommes  sont morts pour rien. Quel gâchis!

  

Joseph Antoine Sprunck 

ancien combattant en Agérie durant l'année 1962


Crédit photos: - Joseph Antoine Sprunck

                         

                       -  une carte postale






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C’est l’histoire authentique d’une simple famille paysanne du Bitcherland Quand Antoine Sprunck, cultivateur, âgé de 45 ans, père de 5 enfants, habitant d’Ormersviller (Moselle), situé à la frontière sarroise, à 11 km au nord de Bitche, est mobilisé le 23 août 1939 au 23 ème SIM à Dieuze (Sud de la Moselle), il ne se doute pas qu’il ne pourra pas exploiter sa ferme d’une quinzaine de hectares pendant sept ans.      Il quitte Ormersviller avec le “Poschtauto” Jost, prend le train à Bitche, puis à Sarreguemines pour Dieuze, où il reviendra fin 1944 avec sa famille après une longue pérégrination.  Il ne retournera avec sa famille habiter dans son village natal que le 1er avril 1946. Après avoir déménagé huit fois, il n’emménagera qu’en 1954 dans sa maison reconstruite.   Antoine avec ses deux chevaux dans la cour pavée devant l'écurie. Son fils René, âgé de 13 ans, monte un cheval en 1939. La mobilisation En 1939, Antoine est père de cinq enfants, Yvonne 14 ans, René 13 ans, Marie-Thé

La riche histoire d'Eschviller contée par Auguste Lauer

Auguste Lauer, membre fondateur de la Société d’histoire et d’archéologie de la section de Bitche, a enseigné en 1936 à Eschviller. Très intéressé par l’histoire locale, il a mené comme son collègue Paul Glad à Bousseviller, des recherches historiques sur Eschviller. Avant guerre, Auguste Lauer et son épouse, née Anne Schwartz, enseignaient dans les deux classes à Eschviller, annexe de Volmunster. Nous avons retrouvé un texte écrit en allemand très intéressant qui est une synthèse de nombreux documents connus en 1936. Il nous apprend mieux ce que les habitants d’Eschviller et de la région ont dû subir sous le joug des seigneurs, à cause des guerres et des invasions. Nous l’avons traduit en français pour vous faciliter la lecture. Les textes en italique ont été rajoutés par le traducteur pour une meilleure compréhension. L’histoire d’Eschviller et de sa région proche 1. L ’ âge de pierre Pour l’instant nous ne connaissons pas grand cho