Accéder au contenu principal

Antoine Maas passe 800 prisonniers français au nez des Allemands




Antoine Maas, maire de Meisenthal et de Soucht, directeur de la verrerie, avec  toute sa famille et beaucoup d’habitants des deux villages entrent en résistance durant l’annexion de fait de 1940 à 1945. Il réussit à faire passer près de 800 personnes vers la frontière française durant ces années noires en Moselle. 

Antoine ne sera pas verrier

Antoine Maas, né le 29 août 1894 à Meisenthal,  est fils de verrier  et vit dans une fratrie de six enfants. Il aurait dû devenir verrier, hélas, il est gaucher. Comme il est très intelligent, le curé de la paroisse réussit à le placer au bureau de la verrerie, dont le directeur lui apprendra à  tenir la comptabilité. Sa tante est gouvernante chez un curé à Villemaur-sur-Vanne dans l’Aube. Son père le place en 1909 chez sa tante pendant deux ans. Pendant cette période, le prêtre sera son précepteur et lui apprendra le français. La guerre est déclarée  le 4 août 1914 et  Antoine sera mobilisé dans l’armée allemande durant toute la guerre et combattra sur le front russe. En 1921, il se marie  avec Marie Stenger de Goetzenbruck. Elle est également fille de verrier. De cette union naîtront deux filles: Marie-Antoinette et Jacqueline.

Création d’un atelier de thermomètres

Antoine Maas s’occupe d’un magasin de verreries à Ingwiller jusqu’en 1936. C'est un homme entreprenant, un battant. Tout en s’occupant de son magasin, il fonde à Bouxwiller un atelier de fabrication de thermomètres avec deux camarades d’origine allemande. Il a fait leur connaissance durant la guerre. Il a choisi cette commune car  l’atelier pouvait se brancher sur le gaz de ville. Toutes les semaines, avec une valise pleine de thermomètres, Antoine se rendait à Paris  aux Arts et métiers pour faire vérifier la conformité  des thermomètres. 

Retour à Meisenthal

En 1936, il retourne à Meisenthal pour succéder à l’ancien directeur de l’usine qui employait 400 ouvriers. Pendant la guerre, il  fera  fabriquer les thermomètres à Meisenthal, et  achètera le gaz en bouteilles.  En 1939, il est mobilisé, mais après deux mois, il sera libéré. L’usine est occupée par les troupes françaises, sa fille Jacqueline est en pension à Gérardmer, mais elle revient à la maison en mars1940. 






Marie-Antoinette Maas et  Jacqueline Philippon, née Maas lors de notre entretien.

— Je ne ne voulais pas aller dans une école allemande. Je prenais des leçons de latin et de français chez le curé du village jusqu’en 1943. Comme la guerre ne se terminait pas, mes parents m’ont demandé de m’inscrire au lycée de Bouxwiller, où je suivais alors des cours d’anglais. Après la guerre, j’ai passé avec succès le baccalauréat de transition, nous raconte Jacqueline. 


Directeur d’usine et passeur

Marie-Antoinette Maas et  Jacqueline Philippon, née Maas  se souviennent encore très bien  de cette période de guerre. Elles sont aussi discrètes que leur père Antoine. Leur histoire est connue par ceux qu’ils ont aidés et les habitants du village, et pourtant faire passer 800  déserteurs, réfractaires du régime nazi, prisonniers français, n’était pas une chose facile à cette époque. 
Mais  Antoine Mass, maîtrisant très bien la langue des occupants,  a su grâce à sa diplomatie, à ne pas offenser les Allemands, tout en les bernant. Il les soudoyait avec des victuailles et d’autres produits. Il a même réussi à soudoyer un membre de la Gestapo, qui avait besoin de thermomètres pour son magasin familial. Grâce à lui, il était renseigné sur les visites nocturnes de la Gestapo. Mais le danger était grand.
-  Nous connaissions l’existence des camps de concentration, mais nous ne savions pas ce qui s’y passait en réalité,  confirme  Jacqueline.

Français de coeur







Le général De Gaulle remet la légion d'honneur à Antoine Maas


 - Notre père était sous l’occupation maire de Meisenthal et de Soucht, et il a aidé  les familles  cachant des insoumis ou des déserteurs de l’armée allemande dans la mesure de ses possibilités. Il était officiellement  maire  allemand, mais il était français de coeur. Il a réussi à nous transmettre ce patriotisme efficace, mais discret. Grâce aux activités de son usine, il demandait aux Allemands l’autorisation de garder de jeunes Mosellans mobilisables, prétextant qu’ils étaient indispensables au fonctionnement de l’usine,  précise  Marie-Antoinette Maas.





Jacqueline Maas est décorée de la médaille de la résistance


- C’est un de nos verriers qui m’a emmené dans la forêt pour prendre contact avec des prisonniers de guerres français, qui se sont évadés des Stalags. Je chantais en français des chansons connues comme “Auprès de ma blonde” et tout à coup ils sortaient de leur cachette. Les premiers, je les faisais évader par Volksberg alors que je n’avais que 15 ans, plus tard je les emmenais en train à Sarrebourg. Là,  je les conduisais à l’église où un prêtre, que je n’avais jamais vu, les prenait en charge.” nous confie Jacqueline Philipon.

Changer les habits des prisonniers évadés

Alors que Marie-Antoinette travaillait à l’usine, sa sœur Jacqueline s’occupait des prisonniers.
-  A tous ces prisonniers, il fallait donner de nouveaux habits, tout le village y participait. Mon père a même acheté tout un lot d’habits dans un magasin afin d’y pourvoir, car nous avions des difficultés d’en trouver. Ma sœur a même donné le manteau de mon père. Les prisonniers venaient avec un billet avec notre adresse dans la poche, ce qui était très dangereux. Puis nous les cachions pendant plusieurs jours dans la cave de l’usine au milieu de stocks de cartons. Ma mère   préparait le manger pour eux. Nous avons dû tuer de nombreuses bêtes sans autorisation afin de nourrir tout ce monde” explique Marie-Antoinette. 

Alignés devant le mur de l’usine

Mais en 1944, cela se gâta un peu. Les Allemands avaient des soupçons, et un beau jour, à Rohrbach-lès-Bitche, on tire sur leur voiture. Marie-Antoinette est blessée à  la tête et devra être hospitalisée, alors que c’est le père qui était visé. On l’apprendra plus tard. 
Un beau jour,  la famille Maas est trahie par un faux prisonnier belge. Un matin, le 4 décembre 1944 vers 7 h, la Gestapo frappe à la porte. Jacqueline cache vite le drapeau français sur l’armoire. Toute la famille sera alignée devant le mur de l’usine.
Les SS nous ont  demandé: 
- Combien de prisonniers avez-vous fait évader?
- Aucun, répondions nous tous.
- Quand les Américains positionnés sur le Breitenstein  se mirent à tirer sur le village, les nazis ont décidé de fuir, sans nous emmener. Nous avions eu chaud. C’est seulement ce matin là que j’ai réalisé  que ce que nous faisions était dangereux. La même journée les Américains, bien informés, sont entrés au village en demandant à rencontrer un certain Antoine Mass. Ma sœur et moi, qui parlions anglais étions les interprètes, indique Jacqueline.

Les Fléchards

A nouveau, Antoine Mass, réussit un tour de force avec les Américains qui n’emmenèrent pas les jeunes Mosellans’’ déserteurs de l’armée allemande à la Flèche en Sarthe. C’est ce qu’ils firent dans les autres villages. Beaucoup de Malgré-Nous mosellans, de retour du Front russe  se  sont cachés lors d’une permission.  Ils ont eu la mauvaise surprise de devenir prisonniers des Américains entre le 1er et le 17 décembre 1944.   «Le gradé américain leur disait. : "Si vous avez accepté d’être incorporé, vous n’aviez  pas le droit de déserter!» Ils ne sont sortis  du camp de la Flèche en Sarthe que le 15 mai et ne seront libérés que le 25 mai 1945. Alors que la Moselle presque totalement libérée pavoisait de toute part, les malgré-nous  évadés furent embarqués avec des prisonniers allemands. Ce qui leur valut de recevoir, dans les camions, des menaces de mort de la part des vert-de-gris, puis des cailloux tricolores dans les rues de Nancy. Après une nuit de train, 225 arrivèrent au camp de Thorée-les-Pins,  à la Flèche, dans la Sarthe, où ils restèrent cinq mois. Ils ont été mêlés aux Allemands, commandés et menés par eux. D’où le nom de “Fléchards” qu’ils se sont donnés depuis. Les nombreux malgré-nous de Meisenthal-Soucht qui avaient déserté l’armée allemande ont eu ainsi beaucoup de chance.
- Quand nous avons appris ce que les Fléchards ont subi durant leur captivité à La Flèche, nous avons seulement apprécié le service qu’Antoine Maas nous a rendu. C’était un homme formidable, a rapporté Jules Klein réfugié à Meisenthal durant la guerre.

Légion d’honneur

Antoine Mass est resté maire jusqu’aux élections de 1947. Pour rendre hommage à cette  famille méritante, des décorations  ont attribuées à  tous ses membres  A Metz, il fut décoré de la Légion d’honneur par le Général de Gaulle, En 1951 sa fille Jacqueline fut décorée de la médaille de la résistance alors qu’elle n’avait que 25 ans. Toute la famille est titulaire de l’American Legion.



 - Nous  avons gardé des contacts avec beaucoup de ceux que nous avons aidés, conclut Jacqueline.

Joseph Antoine Sprunck  

Crédit photos: Famille Maas et Joseph Antoine Sprunck



Posts les plus consultés de ce blog

Les épreuves subies pendant et après la guerre de 1939-1945 par une famille lorraine

C’est l’histoire authentique d’une simple famille paysanne du Bitcherland ou l'Itinéraire d'un jeune  durant la guerre Quand Antoine Sprunck, cultivateur, âgé de 45 ans, père de 5 enfants, habitant d’Ormersviller (Moselle), situé à la frontière sarroise, à 11 km au nord de Bitche, est mobilisé le 23 août 1939 au 23 ème SIM à Dieuze (Sud de la Moselle), il ne se doute pas qu’il ne pourra pas exploiter sa ferme d’une quinzaine de hectares pendant sept ans.      Il quitte Ormersviller avec le “Poschtauto” Jost, prend le train à Bitche, puis à Sarreguemines pour Dieuze, où il reviendra fin 1944 avec sa famille après une longue pérégrination.  Il ne retournera avec sa famille habiter dans son village natal que le 1er avril 1946. Après avoir déménagé huit fois, il n’emménagera qu’en 1954 dans sa maison reconstruite.   Antoine avec ses deux chevaux dans la cour pavée devant l'écurie. Son fils René, âgé de 13 ans, monte un cheval en 1939. La mobilisation En 1939, Antoine est père d

Guerre d'Algérie: témoignage d'un ancien appelé du contingent de 1961-1963

En 1962, je ne me promenais pas au Bitcherland, mais j’étais en Algérie avec 400 000 autres appelés pour combattre les Fellaghas et l’OAS. C’était pour le maintien de l’ordre, mais en réalité c’était une guerre qui a duré 8 ans de 1954 à 1962. Le rêve d'une "décolonisation en douceur" Pourtant  Ferhat Abbas voulait une  décolonisation en douceur".  C'est pourquoi il  publie e n 1943,  le " Manifeste du peuple algérien ", qui réclame  l’égalité entre Musulmans et Européens, une réforme agraire, la reconnaissance de la langue arabe et une "République autonome" . Puis il jette l’éponge en 1951.   " Il n’y a plus d’autres solutions que les mitraillettes" , s’attrista-t-il. " Toute sa vie, Abbas aura rêvé d’une décolonisation en douceur" ,     écrit Charles-Robert Ageron dans   Genèse de l’Algérie algérienne  . Le maintien de l'ordre se transforme en guerre  Elle a opposé l'armée française à des insurgés nationalistes al

La riche histoire d'Eschviller contée par Auguste Lauer

Auguste Lauer , instituteur d'Eschvil ler membre fondateur de la Société d’histoire et d’archéologie de la section de Bitche, a enseigné en 1936 à Eschviller. L'école d'Eschviller avait deux salles de classe  Très intéressé par l’histoire locale, il a mené comme son collègue Paul Glad à Bousseviller, des recherches historiques sur Eschviller. Avant guerre, Auguste Lauer et son épouse, née Anne Schwartz, enseignaient dans les deux classes à Eschviller, annexe de Volmunster. Nous avons retrouvé un texte écrit en allemand très intéressant qui est une synthèse de nombreux documents connus en 1936. Il nous apprend mieux ce que les habitants d’Eschviller et de la région ont dû subir sous le joug des seigneurs, à cause des guerres et des invasions. Nous l’avons traduit en français pour vous faciliter la lecture. Les textes en italique ont été rajoutés par le traducteur pour une meilleure compréhension. L’histoire d’Eschviller et de sa