Antoine ne sera pas verrier
Antoine Maas, né le 29 août 1894 à Meisenthal, est fils de verrier et vit dans une fratrie de six enfants. Il aurait dû devenir verrier, hélas, il est gaucher. Comme il est très intelligent, le curé de la paroisse réussit à le placer au bureau de la verrerie, dont le directeur lui apprendra à tenir la comptabilité. Sa tante est gouvernante chez un curé à Villemaur-sur-Vanne dans l’Aube. Son père le place en 1909 chez sa tante pendant deux ans. Pendant cette période, le prêtre sera son précepteur et lui apprendra le français. La guerre est déclarée le 4 août 1914 et Antoine sera mobilisé dans l’armée allemande durant toute la guerre et combattra sur le front russe. En 1921, il se marie avec Marie Stenger de Goetzenbruck. Elle est également fille de verrier. De cette union naîtront deux filles: Marie-Antoinette et Jacqueline.
Création d’un atelier de thermomètres
Antoine Maas s’occupe d’un magasin de verreries à Ingwiller jusqu’en 1936. C'est un homme entreprenant, un battant. Tout en s’occupant de son magasin, il fonde à Bouxwiller un atelier de fabrication de thermomètres avec deux camarades d’origine allemande. Il a fait leur connaissance durant la guerre. Il a choisi cette commune car l’atelier pouvait se brancher sur le gaz de ville. Toutes les semaines, avec une valise pleine de thermomètres, Antoine se rendait à Paris aux Arts et métiers pour faire vérifier la conformité des thermomètres.
Retour à Meisenthal
En 1936, il retourne à Meisenthal pour succéder à l’ancien directeur de l’usine qui employait 400 ouvriers. Pendant la guerre, il fera fabriquer les thermomètres à Meisenthal, et achètera le gaz en bouteilles. En 1939, il est mobilisé, mais après deux mois, il sera libéré. L’usine est occupée par les troupes françaises, sa fille Jacqueline est en pension à Gérardmer, mais elle revient à la maison en mars1940.
Marie-Antoinette Maas et Jacqueline Philippon, née Maas lors de notre entretien.
— Je ne ne voulais pas aller dans une école allemande. Je prenais des leçons de latin et de français chez le curé du village jusqu’en 1943. Comme la guerre ne se terminait pas, mes parents m’ont demandé de m’inscrire au lycée de Bouxwiller, où je suivais alors des cours d’anglais. Après la guerre, j’ai passé avec succès le baccalauréat de transition, nous raconte Jacqueline.
Directeur d’usine et passeur
Marie-Antoinette Maas et Jacqueline Philippon, née Maas se souviennent encore très bien de cette période de guerre. Elles sont aussi discrètes que leur père Antoine. Leur histoire est connue par ceux qu’ils ont aidés et les habitants du village, et pourtant faire passer 800 déserteurs, réfractaires du régime nazi, prisonniers français, n’était pas une chose facile à cette époque.
Mais Antoine Mass, maîtrisant très bien la langue des occupants, a su grâce à sa diplomatie, à ne pas offenser les Allemands, tout en les bernant. Il les soudoyait avec des victuailles et d’autres produits. Il a même réussi à soudoyer un membre de la Gestapo, qui avait besoin de thermomètres pour son magasin familial. Grâce à lui, il était renseigné sur les visites nocturnes de la Gestapo. Mais le danger était grand.
- Nous connaissions l’existence des camps de concentration, mais nous ne savions pas ce qui s’y passait en réalité, confirme Jacqueline.
Français de coeur
Le général De Gaulle remet la légion d'honneur à Antoine Maas
- Notre père était sous l’occupation maire de Meisenthal et de Soucht, et il a aidé les familles cachant des insoumis ou des déserteurs de l’armée allemande dans la mesure de ses possibilités. Il était officiellement maire allemand, mais il était français de coeur. Il a réussi à nous transmettre ce patriotisme efficace, mais discret. Grâce aux activités de son usine, il demandait aux Allemands l’autorisation de garder de jeunes Mosellans mobilisables, prétextant qu’ils étaient indispensables au fonctionnement de l’usine, précise Marie-Antoinette Maas.
Jacqueline Maas est décorée de la médaille de la résistance
- C’est un de nos verriers qui m’a emmené dans la forêt pour prendre contact avec des prisonniers de guerres français, qui se sont évadés des Stalags. Je chantais en français des chansons connues comme “Auprès de ma blonde” et tout à coup ils sortaient de leur cachette. Les premiers, je les faisais évader par Volksberg alors que je n’avais que 15 ans, plus tard je les emmenais en train à Sarrebourg. Là, je les conduisais à l’église où un prêtre, que je n’avais jamais vu, les prenait en charge.” nous confie Jacqueline Philipon.
Changer les habits des prisonniers évadés
Alors que Marie-Antoinette travaillait à l’usine, sa sœur Jacqueline s’occupait des prisonniers.
- A tous ces prisonniers, il fallait donner de nouveaux habits, tout le village y participait. Mon père a même acheté tout un lot d’habits dans un magasin afin d’y pourvoir, car nous avions des difficultés d’en trouver. Ma sœur a même donné le manteau de mon père. Les prisonniers venaient avec un billet avec notre adresse dans la poche, ce qui était très dangereux. Puis nous les cachions pendant plusieurs jours dans la cave de l’usine au milieu de stocks de cartons. Ma mère préparait le manger pour eux. Nous avons dû tuer de nombreuses bêtes sans autorisation afin de nourrir tout ce monde” explique Marie-Antoinette.
Alignés devant le mur de l’usine
Mais en 1944, cela se gâta un peu. Les Allemands avaient des soupçons, et un beau jour, à Rohrbach-lès-Bitche, on tire sur leur voiture. Marie-Antoinette est blessée à la tête et devra être hospitalisée, alors que c’est le père qui était visé. On l’apprendra plus tard.
Un beau jour, la famille Maas est trahie par un faux prisonnier belge. Un matin, le 4 décembre 1944 vers 7 h, la Gestapo frappe à la porte. Jacqueline cache vite le drapeau français sur l’armoire. Toute la famille sera alignée devant le mur de l’usine.
Les SS nous ont demandé:
- Combien de prisonniers avez-vous fait évader?
- Aucun, répondions nous tous.
- Quand les Américains positionnés sur le Breitenstein se mirent à tirer sur le village, les nazis ont décidé de fuir, sans nous emmener. Nous avions eu chaud. C’est seulement ce matin là que j’ai réalisé que ce que nous faisions était dangereux. La même journée les Américains, bien informés, sont entrés au village en demandant à rencontrer un certain Antoine Mass. Ma sœur et moi, qui parlions anglais étions les interprètes, indique Jacqueline.
Les Fléchards
A nouveau, Antoine Mass, réussit un tour de force avec les Américains qui n’emmenèrent pas les jeunes Mosellans’’ déserteurs de l’armée allemande à la Flèche en Sarthe. C’est ce qu’ils firent dans les autres villages. Beaucoup de Malgré-Nous mosellans, de retour du Front russe se sont cachés lors d’une permission. Ils ont eu la mauvaise surprise de devenir prisonniers des Américains entre le 1er et le 17 décembre 1944. «Le gradé américain leur disait. : "Si vous avez accepté d’être incorporé, vous n’aviez pas le droit de déserter!» Ils ne sont sortis du camp de la Flèche en Sarthe que le 15 mai et ne seront libérés que le 25 mai 1945. Alors que la Moselle presque totalement libérée pavoisait de toute part, les malgré-nous évadés furent embarqués avec des prisonniers allemands. Ce qui leur valut de recevoir, dans les camions, des menaces de mort de la part des vert-de-gris, puis des cailloux tricolores dans les rues de Nancy. Après une nuit de train, 225 arrivèrent au camp de Thorée-les-Pins, à la Flèche, dans la Sarthe, où ils restèrent cinq mois. Ils ont été mêlés aux Allemands, commandés et menés par eux. D’où le nom de “Fléchards” qu’ils se sont donnés depuis. Les nombreux malgré-nous de Meisenthal-Soucht qui avaient déserté l’armée allemande ont eu ainsi beaucoup de chance.
- Quand nous avons appris ce que les Fléchards ont subi durant leur captivité à La Flèche, nous avons seulement apprécié le service qu’Antoine Maas nous a rendu. C’était un homme formidable, a rapporté Jules Klein réfugié à Meisenthal durant la guerre.
Légion d’honneur
Antoine Mass est resté maire jusqu’aux élections de 1947. Pour rendre hommage à cette famille méritante, des décorations ont attribuées à tous ses membres A Metz, il fut décoré de la Légion d’honneur par le Général de Gaulle, En 1951 sa fille Jacqueline fut décorée de la médaille de la résistance alors qu’elle n’avait que 25 ans. Toute la famille est titulaire de l’American Legion.
- Nous avons gardé des contacts avec beaucoup de ceux que nous avons aidés, conclut Jacqueline.
Joseph Antoine Sprunck
Crédit photos: Famille Maas et Joseph Antoine Sprunck
Crédit photos: Famille Maas et Joseph Antoine Sprunck