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Sylvia, la fille de la forêt d’Eschviller

       Du temps du Duc de Lorraine Charles IV, où les pays se sont  affrontés en Europe, la guerre de Trente Ans a laissé une  Lorraine en ruines et dépeuplée. Le roi  de France Louis XIV et son ministre Richelieu ont voulu occuper la Lorraine pour pouvoir passer  librement en Allemagne. Les alliés du roi de France, particulièrement les Suédois et les Croates ont livré de nombreuses batailles au Duc de Lorraine, Charles IV. Ils ont ravagé et brûlé les villes et les villages en 1633. Au Bitcherland, seuls les habitants qui ont réussi à se cacher dans les forêts, ont pu survivre. Beaucoup de villages vont disparaître.
  Sur les hauteurs d’Eschviller existent les “Kravatteloecher”, les trous des Croates, à Ormersviller, la pierre des Suédois et à Reyersviller le chêne des Suédois. Ils rappellent cette triste époque.

Agathe rencontre Antoine
A Eschviller,  seules  Agathe et sa mère Marie ont survécu à la guerre de Trente ans. A la fin de la guerre, son mari Pierre a été tué par une horde de soldats qui voulaient prendre son argent. Ils l’avaient surpris dans une maison abandonnée d’Eschviller. Marie et sa fille Agathe vivaient dans les forêts d’Eschviller et de Volmunster où elles ont réussi à se cacher et à survivre. Elles se nourrissaient de poissons, de gibier, de fruits et de racines. 
Au printemps, par une belle journée ensoleillée, alors qu’elles étaient en train de travailler dans le jardin, elles virent arriver par la vallée un jeune homme. Il s’assit près de la source de la Schlossbach. Il  devait être midi, car le soleil était haut dans le ciel, il sortit un quignon de pain, le mangea et but à la source. Tout à coup, il vit les deux femmes, il leur sourit, et aussitôt il se dirigea vers elles. Il se présenta, Antoine était le seul survivant de l’aubergiste d’Altheim, un village lorrain que le roi de France céda en 1881 à la comtesse de Leyen de Blieskastel. Il se proposa de les aider à défricher le jardin et à réparer leur maison que les Croates  avaient brûlée. Il planta un sureau à côté de la maison pour la protéger contre les mauvais esprits.

Naissance de Sylvia

Ils sympathisèrent, et il resta avec eux. Elles étaient contentes de ce soutien providentiel qui était une sécurité, et lui, resta, car Agathe lui plaisait. Comme elles marchaient pieds nus, il tailla deux paires de sabots dans la branche d’un saule, l’une pour Agathe et l’autre pour sa mère. En été, ils allèrent se marier à l’abbaye de Hornbach où les moines étaient revenus. A Volmunster, un curé ne sera nommé que beaucoup plus tard.
L’été suivant  une fille  vint au monde, on l’appela Sylvia, ce fut une très grande joie pour les parents. La guerre était finie, mais il fallait encore faire attention aux troupes qui passaient sur la hauteur d’Eschviller.  Sylvia et ses parents furent très prudents. En été, ils habitaient dans forêt du Hohwald près la vallée de la Schwalb. 




La vallée de la Schwalb où broutent actuellement des Highland Cattle

Aucun pont n’existait à cette époque dans la région. On passait les rivières à gué. Le Moulin d’Eschviller n’existait pas encore.  C’était plus sûr, car la végétation, formée de haies, de  roseaux et de pétasites, avait envahi   la vallée. Le chemin avait disparu. 




Le sentier qu'empruntait Sylvia pour rejoindre le Walbrunnen

Dans une cabane, bien cachée, non loin de la source du Walbrunnen, ils  passaient l’été. En hiver, ils retournaient dans leur maison à Eschviller, car durant la saison froide, les soldats étaient renvoyés dans leur foyer. A cette époque, on ne faisait pas la guerre en hiver.

Sylvia et le Walbrunnen

Vivant tout l’été dans la vallée, Sylvia connaissait très bien toute la forêt et les sentiers qu’empruntait le gibier. Son père Antoine était un très bon chasseur et pêcheur, il lui avait appris à poser des pièges et à attraper  les truites dans les ruisseaux. Elle adorait attraper les poissons à la main dans la Trubach et la Schlossbach. Elle allait souvent boire et faire sa toilette  à la source du Walbrunnen. 



 

Le Walbrunnen  qui a durant toute l'année le même débit.

Elle aimait aller à cette source abondante qui donne naissance à un ruisseau de un mètre de large.  A partir de la mi-mars, elle ramenait pour le repas très souvent  du cresson de  fontaine qui poussait dans le lit du ruisseau du Walbrunnen. Chaque fois, elle se  regardait dans le bassin. Elle constatait qu’elle était belle et les rares visiteurs qui venaient chez ses parents le lui disaient souvent. A force de se mirer dans l’eau et l’entendre dire, elle devint orgueilleuse et fière.  

Eschviller se repeuple

Quand Sylvia était jeune fille, le village devint un peu plus sûr, et d’autres habitants vinrent s’y implanter, car tous ceux qui défrichaient les champs abandonnés en devenaient propriétaires, et ils n’eurent pas besoin de payer d’impôts pendant dix ans pour les champs qu'ils défrichaient et durant trente années pour les prés. Les immigrés venaient du Tyrol, de Suisse, de Picardie, d’Auvergne, et d’autres régions.  Très rapidement les villages du Bitcherland furent repeuplés, car   les habitants purent vivre en paix.
  Naturellement, Sylvia, très gracieuse, fut très vite remarquée par les jeunes gens d’Eschviller. Henri le fils du forgeron commença à lui faire la cour, mais rapidement elle lui fit comprendre que ce n’était pas la peine.  Puis ce fut le fils du seigneur d’Eschviller, il n’eut guère plus de succès. Un beau jour, elle était à la source  pour s’y baigner. A la fin de sa toilette, elle se mira à nouveau dans l’eau . Elle admira longuement tout son corps qui était effectivement très beau. Elle se rhabilla  et tout d’un coup, un  jeune homme était debout dans le bassin. Il était aussi beau qu’elle et la demanda en mariage. Elle en devint jalouse, elle prit son bâton et essaya de le frapper. Il y eut un bruit de tonnerre et le jeune homme disparut. 
Sylvia eut peur, et voulut rentrer à la maison. Une dernière fois, elle se mira dans le bassin, mais elle ne se reconnut pas. L’eau trouble lui renvoyait une image d’une vieille personne ridée. Elle se mit à pleurer amèrement, car elle ne reconnaissait  plus son corps.

Sylvia rencontre Wendelin

A partir de ce jour, elle ne revint plus au Walbrunnen, mais elle continua à se promener dans les forêts. Elle aimait rencontrer Wendelin,  le berger d’Eschviller qui gardait les moutons. Il était gentil, connaissait bien la nature et les plantes médicinales.  Après la fenaison, il la demanda en mariage, elle accepta. Ils se marièrent à la Saint Martin à l’église de Volmunster. Ils furent heureux et eurent beaucoup d’enfants. 
   Joseph Antoine Sprunck
 
Crédit photo: Joseph Antoine Sprunck

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