Accéder au contenu principal

Triste réouverture de l’école de Volmunster en 1946


      Le 13 juillet 1939, Georges Perrin, instituteur de l’école de garçons a souhaité « Bonnes vacances » à ses élèves, dont certains ne se retrouveront sur les bancs de l’école de Volmunster que le 16 janvier 1946. Que s’est-il passé durant tout ce temps?
Pour élucider ces très longues vacances, nous  sommes allés interroger 




André Schutz, instituteur à Volmunster de 1946 à 1961.

André Schutz , conseiller Pédagogique à la retraite, qui a ouvert l’école de Volmunster le lundi 16 janvier 1946, exactement 10 mois après la libération de la Commune par les Américains.
Il faut se rappeler que Volmunster était inhabité depuis le 1er septembre 1939, date à laquelle la population a été évacuée en Charente. Puis ceux qui sont revenus en septembre 1940 ont été expulsés dans le Saulnois et la Pays messin par l’administration militaire qui a agrandi le camp militaire de Bitche et expulsant les habitants de treize communes  du canton de Volmunster et cinq de celui de Bitche. C’étaient les migrants de la deuxième guerre mondiale. Ils sont partis avec une valise de 30 kg, et ne retrouveront qu’un village en ruines. Ce ne sera qu’à partir de l’armistice que quelques-uns se hasarderont à revenir dans ce village en ruines. Les restés en Charente ne reviendront que le premier mai 1946. L’Etat construit des baraquements pour abriter les familles “sans logis”, dont les maisons n’étaient plus qu’un amas de pierres.

L’interview

Joseph Antoine Sprunck: 
— Comment se fait-il que vous ayez été nommé à Volmunster au milieu de l’année scolaire?
André Schutz: 
— Avant les hostilités, j’avais passé mon brevet élémentaire, j’ai ensuite fréquenté le lycée allemand pendant l’occupation. Enrôlé de force, j’ai déserté, puis j’ai été fait prisonnier par les Américains qui m’ont libéré le 7 juillet 1945. En novembre 1945, j’ai passé avec succès le brevet supérieur. L’Alsace, où mes parents habitaient, n’avait plus de postes à pourvoir, je faisais alors une demande dans les départements limitrophes du Doubs, du Territoire de Belfort et de la Moselle. Ce fut l’Inspection académique de Metz qui m’envoya le 13 janvier 1946 un télégramme me nommant à Volmunster.— Connaissiez-vous la région?
— Habitant la Haute Alsace, ce village m’était totalement inconnu. Je l’ai trouvé dans mon Larousse qui le décrivait comme un chef-lieu de canton de l’arrondissement de Sarreguemines avec 925 habitants. Pour un premier poste, c’était acceptable. Tout le monde ne commençait pas dans un bourg si important.
— Comment y êtes vous allé?Je suis parti le vendredi 14 janvier en train, et je suis arrivé à 17 h Bitche.Grande fut ma surprise de trouver une gare endommagée avec des fenêtres sans vitres. On m’envoya à l’hôtel restaurant Bittel, en face du couvent des Capucins, d’où partait le “Poschtauto” pour Volmunster. Hélas, j’étais en retard, car le départ était à 10 h. L’hôtel étant complet, je suis retourné à la gare, où le Chef de gare, pris de compassion, m’a permis de passer la nuit à côté du poêle qui chauffait le local des guichets. Dans quelle galère suis-je donc? Je n’ai pas trouvé le sommeil. A 8 h. je suis retourné au Restaurant Bittel, là, j’ai fait connaissance avec Jean Vogel d’Eschviller qui me brossa un sombre tableau de Volmunster. Il exagère sûrement, ai-je pensé. A dix heures est arrivée une petite camionnette qui nous amena à Volmunster.

Un village sans électricité, ni téléphone.



Environ 70 % des habitants ont dû habiter  dans des baraquements. Dans l'un de ces baraquements était le restait Alfred Klein. 

  Quelle fut votre première impression?
  C’était bien pire que la description de Jean  Vogel. Le village était un champ de ruines, traversé d’une rue, truffée de trous d’obus et recouvert d’un « tapis de boue »
 Qui vous a accueilli ?
— Dès que je suis descendu de la camionnette, mes chaussures bien cirées    étaient crottées et le bas des pantalons était souillé. C’est ainsi que je me suis présenté  à  Joseph Rinder, maire, qui officiait dans une petite salle, aménagée dans un grand baraquement. Il m’a accueilli avec une certaine froideur, ce qui m’a étonné. Il m’a appris que depuis la rentrée d’octobre, j’étais le 38 ème instituteur nommé sur ce poste, et qu’aucun n’avait accepté. Je n’en croyais pas mes oreilles. Sans moyen de locomotion, j’ai dû me résoudre à rester le week-end à Volmunster.
  Quand avez-vous pris la décision de rester à Volmunster?
  Joseph Rinder m’a montré alors la “salle de classe”,meublée de quatre grandes tables branlantes avec une quarantaine de tabourets, un minuscule poêle et une boîte de craies. J’ai  eu  l’impression qu’on se moquait de moi. Étais-je au XVII ème siècle après la guerre de Trente Ans?  Après la salle de classe, le maire m’a montré le logement de service, une petite baraque composée d’une piécette meublée d’un lit métallique avec deux couvertures, une armoire de l’Entraide Française, un petit poêle en tôle, une très vieille table sur laquelle était posée une cuvette et un broc, une autre pièce vide et un réduit  avec un évier sans eau faisait fonction de cuisine. La baraque était située au milieu d’un pré, une sente boueuse permettait l’accès. Mais où ai-je donc atterri?   Un village sans eau, sans électricité, sans téléphone. Seul, dans mon logement de service, j’ai essayé calmement d’analyser la situation, il n’y avait aucun avantage à rester.
  Où avez-vous mangé ?
  Je suis sorti de ma baraque pour chercher un restaurant. Je l’ai trouvé dans un baraquement près de la Schwalb. Il était tenu par la famille Klein. Son mobilier était des plus hétéroclites. Après le repas, le restaurateur m’a tenu compagnie, et grâce à lui, j’ai eu les premières explications sur la situation lamentable et inexplicable à mes yeux de Volmunster.
 Qui vous a convaincu à rester?
— Connaissant mieux la situation, j’ai pris la décision, en jouant pile ou face. Pile, je pars, face, je reste.Je joue, c’est face, donc je reste.

Une rentrée des classes désespérante

  Comment s’est déroulée cette réouverture de classe?
  Le lundi 16 janvier 1946, peu avant huit heures, Volmunster, plongé dans un brouillard laiteux et glacé a connu néanmoins une certaine animation près de « l’école ». J’ai été angoissé, car j’allais me trouver pour la première fois devant des élèves, alors que je n’avais aucune expérience pédagogique. Quarante enfants de 6 à 14 ans se sont présentés  devant moi. Cette rentrée a été la plus tardive de France et de loin la plus inconfortable. Il était huit heures, il faisait encore très sombre à l’école, comme dans tout le village, il n’y avait pas d’éclairage.
  Quel a été le niveau des élèves ?
  Il y avait autant de niveaux que d’élèves. Certains, ayant changé deux fois de nationalité ont commencé à l’école française, ont continué pendant l’occupation à l’école allemande et les voilà à nouveau dans une école française. Ceux de six ans ne connaissaient que le dialecte. Certains n’étaient plus allés à l’école depuis juillet 1944. Seuls les restés en Charente durant toute la guerre, avaient profité d’un enseignement en français. J’étais vraiment paniqué par la lourdeur de la tâche.

Livré à lui-même

  L’Inspecteur primaire ne vous a-t-il pas aidé et conseillé ?
  Le jeudi 18 janvier 1946, le maire Joseph Rinder m’a emmené à Sarreguemines pour me présenter à l’Inspecteur primaire, M.Prot qui m’a donné quelques livres de classe et m’a souhaité beaucoup de courage, mais n’est pas venu  me voir. Trois jours avant le certificat d’études, il a fait une inspection rapide.
  Vous ne m’avez pas parlé de la cour de récréation.
  Près de la baraque-école, il n’y avait pas de cour. Les toilettes ont seulement été construites en avril. Ce qui est bizarre, c’est que les prisonniers de guerre étaient à l’ancienne école qui n’avait pas trop souffert de la guerre, et les enfants fréquentaient une école glaciale, sans aucun confort. Souvent on ne pouvait pas écrire, car l’encre était gelée.
  Vos effectifs étaient-ils constants?
  A l’origine j’avais les élèves de Volmunster et de Weiskirch (3). A Eschviller (3), l’école  a été ouverte également en janvier 1946 dans  l’ancienne école  par Emile Schmitt de Sarreguemines. Celle de Weiskirch n’a été ouverte que le 1er octobre 1947 dans une l’école-baraque  par Aloyse Nirrengarten. En avril, 1946, le quartier des baraques a été construit dans la rue du stade, on l’appelait le « Barakeviertel ». Celui-ci a accueilli les derniers Volmunstérois venus du Saulnois et de la Charente. Avec ces nouvelles arrivées, l’effectif a dépassé 50 élèves. Une deuxième classe fut alors ouverte par M. Heckler, originaire du même village que mon père. Il a logé dans la deuxième pièce de mon logement.
  Comment se fait-il qu’il n’y eut pas d’école mixte comme dans les autres villages?
  Mlle Lourson, a été nommée en octobre 1946 à l’école de filles, et elle refusa la gémination, et en  1947, Soeur Concilia Schmitt l’a remplacée car c’était  une école congréganiste de filles , et c’est ainsi que nous avons été avec Walschbronn les deux seules écoles non géminées  du canton.

Une  école sans matériel pédagogique







A partir de la rentrée 1947, l'école a été dotée de bancs. André Schutz avec ses élèves dans l'école-baraquement. Il y restera jusqu'au 13 juillet1956.

— Qu’est-ce qui vous a frappé le plus à cette époque?
— Tout d’abord de m’avoir livré une salle de classe sans tableau, sans livres, sans aucun matériel pédagogique. La porte de la salle de classe me servait de tableau. Dans d’autres communes, on avait fabriqué un tableau peint en noir et des bancs avec le parquet récupéré dans les maisons détruites. Par ailleurs, le va-et-vient des camions d’ouvriers occupés à raser toutes les maisons en ruines et la boue continuelle dans les rues m’ont particulièrement marqué.
  Malgré ces nombreuses difficultés vous avez eu le courage de rester.
  En 1947, une antenne de la délégation « Rayon de soleil », soutenue par le ministère de l’Education nationale, animée par des enseignants détachés, s’est installé dans un baraquement voisin de l’école. Elle dépendait de la délégation de l’Union internationale de secours aux enfants(IUSE)  Elle a distribué des vêtements, des souliers, des produits d’hygiène, des conserves, etc. De plus, elle a invité le jeudi une fois par mois tous les enseignants du canton pour les soutenir moralement, ce qui créa un lien entre tous et provoqua la création du Cercle pédagogique qui existe encore aujourd’hui.




Le foyer "Rayon de soleil"

  Combien de temps avez-vous fait classe dans le baraquement?
  Dix ans, le premier octobre 1956 nous  avons déménagé. Enfin, nous avions une cour, et l’eau courante. 
  Quelle est l’impression finale de cette période?
  Tous les Volmunstérois ont été dans la misère à cette époque. Je crois que ces habitants du Bitcherland, bannis et spoliés par les nazis, ont été ceux qui ont le plus souffert en France, et pourtant, pas un seul ne se plaignait.
  Comment se fait-il que vous n’ayez pas réussi à géminer.
  C’est le curé Henri Auer qui s’y opposait. Il me disait: «Si vous géminez, les religieuses vont partir, et qui s’occupera de l’entretien de la sacristie.  Si vous la remplacez à l’église, je suis d’accord.» (4) D’ailleurs, c’est pour cette raison, que j’ai postulé à la fonction de conseiller pédagogique, car la classe unique me fatiguait trop et on ne pouvait pas bien suivre les enfants en difficultés. 

Propos recueillis auprès d’André Schutz le 11 janvier 1996 par Joseph Antoine Sprunck
crédit photos: Viviane Schutz et la collection privée.

(1)André Schutz, né le 14 septembre 1923, est décédé le 28 décembre 1998)
Le 10 octobre 1942 est appelé à accomplir   le Reichsarbeitsdienst, est incorporé de force dans l’armée allemande  le 3 novembre 1943, blessé le 27 juillet 1944 au Monte Cassino. Il a  déserté le 22 avril 1945, puis s’est caché chez des Allemands, puis a rejoint les Américains qui l’ont fait prisonnier et l’ont envoyé dans le camp de prisonniers allemands à Marseille. Les Alsaciens-Lorrains Malgré-Nous y sont sous le commandement des officiers prisonniers allemands qui les briment.  
Président fondateur du Cercle pédagogique de Volmunster en 1954, est devenu conseiller pédagogique en 1961, membre fondateur de la Section de Bitche de la Société d’histoire et d’archéologie de Lorraine. A pris sa retraite en 1978, est nommé conservateur du musée de la citadelle et a été élu à l’Académie Nationale de Metz en 1985.

(2)L’IUSE est fondée en 1920 par le Save the Children Fund de Londres et le Comité international de secours aux enfants de Berne, sous le patronage du Comité international de la Croix-Rouge (Archives de l'Union internationale de secours aux enfants, 2.1).
(3) Eschviller et Weiskirch sont des annexes de Volmunster. Les écoles sont actuellement fermées, les élèves sont tous regroupés à l’Ecole Adolphe Yvon de Volmunster. A la rentrée 2018, l’Ecole Adolphe Yvon regroupe les élèves des communes de Breidenbach, Lengelsheim,  Loutzviller, Nousseviller-lès-Bitche, Schweyen et Volmunster.
(4) Les deux écoles ont géminé le 1 er  octobre 1965 avec l’autorisation de Mgr Paul Joseph Schmitt, évêque de Metz. 

Posts les plus consultés de ce blog

Les épreuves subies pendant et après la guerre de 1939-1945 par une famille lorraine

C’est l’histoire authentique d’une simple famille paysanne du Bitcherland Quand Antoine Sprunck, cultivateur, âgé de 45 ans, père de 5 enfants, habitant d’Ormersviller (Moselle), situé à la frontière sarroise, à 11 km au nord de Bitche, est mobilisé le 23 août 1939 au 23 ème SIM à Dieuze (Sud de la Moselle), il ne se doute pas qu’il ne pourra pas exploiter sa ferme d’une quinzaine de hectares pendant sept ans.      Il quitte Ormersviller avec le “Poschtauto” Jost, prend le train à Bitche, puis à Sarreguemines pour Dieuze, où il reviendra fin 1944 avec sa famille après une longue pérégrination.  Il ne retournera avec sa famille habiter dans son village natal que le 1er avril 1946. Après avoir déménagé huit fois, il n’emménagera qu’en 1954 dans sa maison reconstruite.   Antoine avec ses deux chevaux dans la cour pavée devant l'écurie. Son fils René, âgé de 13 ans, monte un cheval en 1939. La mobilisation En 1939, Antoine est père de cinq enfants, Yvonne 14 ans, René 13 ans, Marie-Thé

Guerre d'Algérie: témoignage d'un ancien appelé du contingent de 1961-1963

En 1962, je ne me promenais pas au Bitcherland, mais j’étais en Algérie avec 400 000 autres appelés pour combattre les Fellaghas et l’OAS. C’était pour le maintien de l’ordre, mais en réalité c’était une guerre qui a duré 8 ans de 1954 à 1962. Le rêve d'une "décolonisation en douceur" Pourtant  Ferhat Abbas voulait une  décolonisation en douceur".  C'est pourquoi il  publie e n 1943,  le " Manifeste du peuple algérien ", qui réclame  l’égalité entre Musulmans et Européens, une réforme agraire, la reconnaissance de la langue arabe et une "République autonome" . Puis il jette l’éponge en 1951.   " Il n’y a plus d’autres solutions que les mitraillettes" , s’attrista-t-il. " Toute sa vie, Abbas aura rêvé d’une décolonisation en douceur" ,     écrit Charles-Robert Ageron dans   Genèse de l’Algérie algérienne  . Le maintien de l'ordre se transforme en guerre  Elle a opposé l'armée française à des insurgés nationalistes al

La riche histoire d'Eschviller contée par Auguste Lauer

Auguste Lauer , membre fondateur de la Société d’histoire et d’archéologie de la section de Bitche, a enseigné en 1936 à Eschviller. Très intéressé par l’histoire locale, il a mené comme son collègue Paul Glad à Bousseviller, des recherches historiques sur Eschviller. Avant guerre, Auguste Lauer et son épouse, née Anne Schwartz, enseignaient dans les deux classes à Eschviller, annexe de Volmunster. Nous avons retrouvé un texte écrit en allemand très intéressant qui est une synthèse de nombreux documents connus en 1936. Il nous apprend mieux ce que les habitants d’Eschviller et de la région ont dû subir sous le joug des seigneurs, à cause des guerres et des invasions. Nous l’avons traduit en français pour vous faciliter la lecture. Les textes en italique ont été rajoutés par le traducteur pour une meilleure compréhension. L’histoire d’Eschviller et de sa région proche 1. L ’ âge de pierre Pour l’instant nous ne connaissons pas grand ch