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101 jours de calvaire pour les habitants de Erching-Guiderkirch de 1944-1945





Erching et Guiderkirch sont situés dans le département de la Moselle, au Bitcherland. Son territoire fait frontière avec la Sarre. Ainsi  Erching-Guiderkirch est situé sur une route importante, faisant office d’une porte de la France. Un poste de douane y était implanté. Commune de 404 habitants, le village fait partie du canton de Bitche, du Parc naturel régional des Vosges du Nord et du bassin de vie de la Moselle-Est. Elle fait partie de la communauté des communes du Pays de Bitche. Il est arrosé par la Bickenalbe.
Trois moulins y étaient implantés:
- Arnetsmuhle avec une roue à godets, transformé en maison d'habitation en 1925.
- le moulin de Guiderkirch, détruit en 1939
- la Schiffermuhle fonctionnera jusqu'en 1952.


Evacuation en Charente

Les deux villages ont été évacués le 1er septembre 1939 à Yvrac-et-Malleyrand (Charente). Après l’armistice du 22 juin 1940, l’Allemagne réalise une annexion de fait pour l’Alsace et la Moselle. La frontière sera celle du traité de Francfort du 10 mai 1871. Au courant de l’automne 1940, les habitants reviennent habiter à nouveau leur village, alors que dans  25 autres villages du Bitcherland, les habitants sont expulsés dans le Saulnois et la région messine, en raison de l’extension du camp de Bitche. 
Durant leur évacuation de nombreux soldats et officiers sont tombés en Sarre. Un monument  érigé près de la frontière le rappelle, on peut y lire: ”Aux officiers et militaires du 95 ème R.I., tombés pour la France en Sarre en septembre 1939.”
Mémorial  du 95 ème RI 




Au retour de la population, les Allemands rattachent Erching-Guiderkirch à la mairie de Rimling. Après l’armistice  Les Allemands commencent à mettre en exécution un plan d’urbanisme. Ils rasent 25 maisons sans jamais les reconstruire. 

Un cauchemar de 101 jours

La guerre de 1939/1945  marquera de leur empreinte mortelle cette petite commune frontalière. Et pourtant les habitants restent attachés à leur maison même en ruines. Le 7 décembre 1944, les premiers obus américains tombent sur Erching. A partir de cette date, les habitants sont harcelés, nuit et jour par le tir de l’artillerie américaine. Ils se réfugient dans la cave. Ils y vivront durant 101 jours. On y dort, on y mange, on y prie beaucoup. Le 11 décembre Régine Beck est prise par un éboulement de la cave, le 13 décembre Élise Barthel est blessée grièvement par des éclats d’obus. Elle sera hospitalisée par les Américains. Le  vendredi 15  à 14 h 15, les Américains entrent au village, le jour de Noël 1944, à la tombée de la nuit les Américains se retirent, accompagnés d’une quarantaine jeunes gens déserteurs et réfractaires. La nuit de la Saint-Sylvestre de 23 h à 6 heures du matin une grêle d’obus s’abat sur les deux villages, et dans la journée,  c’est le retour des Allemands de la 17 ème Panzer division SS “Goetz von Berlichingen”, fraîchement débarqués, venant de Tchécoslovaquie. C’est l’Opération Nordwind qui était une des dernières offensives militaires de la Wehrmacht sur le front de l'Ouest durant la Seconde Guerre mondiale, ce n’est que le début d’un long martyre. Le 4 janvier 1945   Joseph Huver, maire jusqu’à fin juin 1940, et Michel Dorkel sont blessés, et décèdent dans les hôpitaux allemands, l’un à Homburg, l’autre à Zweibrücken. Joseph Huver avait pieusement conservé son écharpe  tricolore. 

Le village mis à sac par les SS

Les 23 et 24 janvier, les SS mettent le village à sac, en volant poules,  lapins et oies, une véritable guerre de rapine; Ils volent tout ce qu’ils trouvent. Le 26 janvier un éclat d’obus tue Alex Schneider au seuil de son étable. Le 20 février, Léonie Wagner, 10 ans, est mortellement blessée par un éclat d’obus dans la cave du presbytère. On bombarde les deux villages presque tous les jours. Lors  du bombardement aérien américain sur Erching, le 23   février 1945, il y eut 44 victimes parmi la population civile. Le 27 février Célestine Burgun, 71 ans, tombe sous les balles. Le 22 mars Catherine Fischmann est tuée. Les Allemands continuent à résister. Le mercredi 14 mars, toujours des bombardements, la maison Huver est en flammes, alors que 33 personnes sont abritées dans la cave. Le jeudi 15 mars à   2 h 45 du matin, les Américains pénètrent dans les caves, et dans la journée, ils font prisonniers de nombreux Allemands à18 h, toutes les maisons sont libérées. Cette vie dans la cave a duré 101 jours


Mémorial des 44 victimes

Bilan des pertes de la commune

67 habitants ont été  tués au village durant les combats en 1944/1945. Toutes ces victimes furent enterrées dans une fosse commune au cimetière. Une plaque commémorative, posée sur le mur de l’église, rappelle les faits.: “En mémoire des victimes du bombardement du 23 février 1945 qui reposent en ces lieux”  Ce bombardement est actuellement commémoré chaque année par la commune.


Tous les ans une gerbe est déposée à la fosse commune


Deux jeunes de la commune sont tombés le 18 juin 1940,  et deux   malgré-nous en 1944. En 1944/1945, 60 maisons sur 107 ont été entièrement détruites. Ce qui explique l'absence quasi totale de patrimoine, si l'on excepte la chapelle Sainte-Anne et quelques calvaires. Pour ce courage héroïque, la commune d’Erching-Guiderkirch fut citée à l’ordre de l’Armée avec attribution de la Croix de guerre avec Étoile de vermeil: “Village de Lorraine très durement touché par les bombardements et les combats qui ont été livrés sur son territoire et qui ont causé la destruction totale  de près de 50% de ses habitations et la perte de ses habitations et la perte de un sixième de ses habitants. Erching, dont la population a apporté son aide à de nombreux prisonniers évadés d’Allemagne et dont 20 fils ont refusé de porter l’uniforme allemand, s’est par son attachement à la France, acquis des droits à la reconnaissance du Pays.

Installation des baraquements

Pour loger ceux qui ont perdu leur  habitation, en attendant la reconstruction, des baraquements provenant du Canada ont été érigées. Tout le monde est  arrivé à être logé, les hommes et les bêtes. Tous se mettent au travail, on rase d’abord les maisons détruites, on garde les moellons pour la reconstruction qui ne se terminera que dans les années 1960. L’église Saint-Maurice sera réparée et rénovée. L’école mixte à deux classes et la mairie seront construites entre les deux villages. 


Un monument aux morts érigé par la commune près de la mairie avec les noms

Vie au village après la guerre

Les hommes sont actifs dans la culture, la reconstruction, les houillères de Lorraine, particulièrement au Puits Simon de Petite-Rosselle, mais aussi dans les usines de Sarreguemines. 



L'église dédiée à Saint-Maurice est implantée à Guiderkirch 

Les gens se rencontraient  aux offices religieux à l’église, à l’épicerie, mais aussi au café. Tout le monde se déplaçait à pied, à bicyclette ou en autobus. Ainsi tout le monde se connaissait.  Les paysans se déplaçaient en charrette, tirées par des attelages de chevaux ou de vaches. On prenait l’autobus pour aller faire les achats à Sarreguemines. Les paysans vivaient en autarcie, ils se nourrissaient des produits de la ferme. Les femmes mettaient les légumes du potager  et les fruits élaborés avec les porcs qu’on tue pendant la saison froide. 

Le changement

Le grand changement commence à partir de l’année 1960,   les paysans remplacent les chevaux par des tracteurs, la voiture particulière et le téléviseur commencent à s’introduire dans les foyers. Le jour où les paysans vont dans les champs en tracteur, ils n’auront plus  l’occasion de se parler. C’est pourquoi les relations vont changer. Avec cette modernisation, on ne verra plus que les tracteurs  dans les champs, les gens regardent la télévision au lieu de sortir, on se parle de moins en  moins, et la solidarité  villageoise est souvent remplacée par le retrait sur soi et le chacun pour soi. L’épicerie ferme, le café également, les offices religieux se raréfient. Quand vous traversez  en 2019 le village, très souvent vous ne voyez pas un chat. Des maisons se vendent, la cohabitation n’existe plus, et les enfants ne les reprennent plus. Le village est de plus en plus habité par des rurbains, car les paysans  se comptent sur les doigts d’une main. Certains ne supportent plus le  beau chant du coq ou la sonnerie des cloches. A partir 1960, les femmes vont travailler à l’usine à Sarreguemines ou en Allemagne. L'espace rural semble en tout état de cause posséder une véritable force d'attraction pour les urbains. Ils sont nombreux  à  avoir l'intention d'aller habiter dans une petite commune. « La poésie et le folklore de la vie des ancêtres sont bannis partout. La machinerie et la mécanisation ont pris leur place » écrivait  Eugène Heiser en 1984. Avec le regroupement pédagogique concentré à Rimling les cris des enfants dans la cour d’école n’égaient plus le village. Par contre, mais il est maintenant possible de mettre les enfants préscolaires à la maternelle. De plus, l’accueil périscolaire est très apprécié par les parents qui travaillent à deux et souvent pas dans la même localité.  Par ailleurs, avec  le ramassage scolaire pour le collège de Rohrbach-lès-Bitche et les lycées de Bitche et de Sarreguemines, beaucoup de jeunes font maintenant des études secondaires et universitaires. 

Les associations


Toutefois, comme avant guerre, des associations continuent à rassembler les villageois et à les occuper en semaine ou le week-end. Les associations remplissent plusieurs rôles dans le village étant donné la diversité des motivations qui animent ceux qui en sont à l’origine  . L’association peut jouer un rôle à destination essentiellement de ses membres ou de la communauté villageoise. Elle permet aux habitants employés dans tout le bassin d’emploi de Sarreguemines  et de la zone frontalière en Allemagne. Les habitants peuvent fréquenter ’l’Entente  sportive Rimling -Erching- Obergailbach,  les Mandolines de la Schwalb,  l’Association Joie de Vivre, l’amicale des sapeurs-pompiers, l’association Culture et loisirs, l’association de pêche “La chevène”, la chorale paroissiale et l’association Sainte-Anne.

Anne Scheyer a publié  «Les quatorze vendredis» relatant ce  qu’ont vécu les habitants d’Erching-Guiderkirch.

Sources:
  • La résistance d’un village lorrain: Erching-Guiderkirch  de Eugène Heiser
  • L’arrondissement de Sarreguemines de Joseph Rohr
  • Témoignages de Thérèse Sprunck, épouse de Joseph Huver
  • Moulins du Pays de Bitche de Joël Beck
  • Crédit photos: Joseph Antoine Sprunck
     


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