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Le destin et la fatalité d’un Malgré-Nous, rescapé de la campagne de Russie



Il y a cinquante ans, déjà un demi-siècle, cinquante ans ont passé mais qui se souvient encore de la tragique aventure vécue par ceux, que plus tard, on surnomma les " malgré-nous 
Qui se souvient encore du 18 Octobre 1942, journée cruciale et néfaste pour la classe 1924 d'Alsace et de Moselle ? 
Léon Schreiber de la Région de Sarrebourg 


Jean  Meyer, Edouard Henius,  Alphonse Kirsch,  André Schutz,  Albert Jordy étaient tous les cinq des malgré-nous


Départ pour le front
Après trois mois d'une pénible instruction, je fus envoyé sur les champs de bataille de la Wehrmacht en RUSSIE et plus précisément à SUMY dans la région de KHARKOV et OREL. C'était en janvier, l'hiver russe était présent dans toute sa rigueur et sa froidure. Pour éviter toute révolte, une trentaine de Lorrains étaient éparpillés, dispersés dans chaque bataillon. 
Oui, ils furent plus de cent trente mille, ils n'avaient pour la plupart guère plus de 17 ans, ces jeunes parias qui craignaient pour leurs parents menacés. Ils partaient vers leur destin, obligés de hurler et de tuer comme des loups. Ils se battirent pour sauver leur peau contre un ennemi qui n'était pas le leur. Ils avaient juste le droit de mourir, non pas pour la FRANCE, encore moins pour l'ALLEMAGNE. Ils mouraient pour éviter la déportation à leurs parents. Quelques-uns parvinrent à déserter, d'autres furent faits prisonniers en faisant la sinistre expérience du camp de TAMBOV. 
Sur le front russe
Pour ne pas entrer dans le détail, je voudrais seulement mentionner une bataille, une des plus cruelles parmi plusieurs autres durant ces 22 mois de barbarie. 
Le 08 Août 1943 un peu avant le lever du jour, des tirs de "stalinorgel" et l'artillerie russe s'abattirent pendant deux heures sur nos abris et nos tranchées. Une odeur de souffre et de poudre engorgeait nos voies respiratoires. Je garde un souvenir cauchemardesque de ce bombardement d'une telle intensité que nous ne pouvions même pas porter secours aux blessés qui hurlaient de douleur. 
Après le bombardement, des centaines de soldats russes attaquèrent notre tranchée avec baïonnette au canon. La tuerie fut horrible, un vrai massacre de champ de foire. Les deux camps se livraient un terrible duel où s'opposaient l'artillerie allemande et leurs "Do-Werfer" à l'orgue de Staline et la "ratsch-boum" des Russes. 
Quatre amis Lorrains
Nous étions quatre Lorrains dans le 1er groupe de la 1ère Compagnie du 175ème Bataillon du Génie, soumis à la 6ème armée. Nous étions des camarades, même plus, nous étions comme des frères. 
Roger SCHOUMERS de METZ, s'est abrité dans le même trou d'obus que moi. Subitement, il entra dans une colère terrible en regardant son ceinturon sur lequel était inscrit "GOTT MIT UNS" et lâcha à voie basse << Dieu est-il vraiment encore avec nous ? >>. Quelques instants plus tard, une balle lui traversa la poitrine. A chaque respiration, le sang lui gargouillait hors du nez et de la bouche. Le pauvre Roger a dû mourir dans mes bras. 
La canonnade des deux côtés dura toute la journée. Les obus s'abattaient sur toute la ligne de front mais l'attaque des Bolcheviques avait échoué. Dans la soirée, la plaine devant nous ressemblait à une gigantesque taupinière. D'innombrables soldats blessés ou morts couvraient le champ de bataille. D'une petite forêt implantée non loin de notre position, il ne restait plus que les troncs des arbres, maculés de sang caillé et sur lesquels étaient collés des morceaux d'étoffes et de chair humaine. 
Les blessés hurlèrent jusque tard dans la nuit. Au petit matin l'on percevait encore des gémissements puis ce fut le calme. La mort avait fait son œuvre. 
Durant toute la nuit, des balles traçantes déchiraient le ciel en sifflant. De temps en temps, une fusée éclairante illuminait le champ de bataille. 
Un torrent de feu
A l'aube du 09 Août, des bruits de moteur se firent entendre. Une douzaine de chars T 34 avançaient vers notre position et immédiatement un torrent de feu submergea à nouveau nos tranchées. Le tir des " orgues de Staline " s'abattit une nouvelle fois sur nous, mais le pire restait à venir. En avançant, les chars écrasaient les morts sous leurs chenilles. Une fois que les blindés étaient à notre portée, l'un des nôtres mis son engin anti-char en batterie, visa le premier venu et appuya sur la mise à feu. Immédiatement, une épaisse fumée noire envahit notre tranchée, accompagnée d'une chaleur infernale. Un autre char avançait vers un trou d'obus dans lequel avait pris position un soldat armé d'une "Panzer Faust" qui visa le T 34 et appuya sur la détente. Touché par le projectile, le char prit feu et l'explosion des munitions qui s'y trouvaient arracha la tourelle du blindé. Les deux réservoirs de carburant situés à l'arrière se sont également embrasés, ne laissant à l'équipage aucune chance de s'en sortir. 
La mort de l’infirmier  
A une cinquantaine de mètres de ma position, Klaus l'infirmier allemand tentait de ramener vers l'arrière deux blessés. Un obus tiré par un char est venu frapper de plein fouet la petite équipe. Deux hommes déchiquetés gisaient dans une mare de sang et Klaus, grièvement blessé allait mourir peu après. Pauvre Klaus, nous venions de perdre un homme d'une grande disponibilité et d'une générosité sans limites. Il était toujours notre ami, il avait su témoigner une sympathie bienveillante à notre égard et éprouvait à l'égard des Alsaciens et Mosellans une affection particulière. Seulement voila, la maîtrise, la supériorité des sentiments, même les plus nobles n'avaient plus de valeur ni de prix. 
Sauver sa peau
L'esprit de combativité de tous était à zéro mais celui des Lorrains l'était plus encore. Dans le sauve qui peut général, chacun n'avait qu'une seule idée, qu'un seul but, sauver sa peau. Etait-ce condamnable, méprisable, haïssable, était-ce un signe de lâcheté, qui pourra en juger ? 
Dans la bataille que je viens de décrire, notre compagnie a perdu 70 soldats, morts, blessés ou disparus. Parmi eux mon ami Roger de METZ dont je viens de parler, mais également Jean NESIUS de COLMAR, un ami de mon groupe qui a été blessé par un éclat d'obus. Robert de LIXING et Norbert de NILVANGE sont les seuls Lorrains rescapés de ma section. 
Déroute de l’armée allemande
Cette offensive russe entraîna la déroute de l'armée allemande sur tout le front. Je regrette de ne pas pouvoir vous raconter tout ce que l'on a vécu et souffert pendant cette période de repli de SUNNY jusqu'à KIEV où fut livrée la bataille d'UKRAINE durant laquelle mon ami Nicolas de CREUTZWALD fut gravement blessé. Mon stylo ainsi que mes sentiments personnels se rebellent. 
Le harcèlement de l'artillerie sur les troupes allemandes le long de la rive Ouest du fleuve le Dniepr devenait d'heure en heure plus virulent. Des tentatives de franchissement du fleuve par des unités russes échouèrent à plusieurs reprises. De nombreux cadavres de soldats russes, mais également des nôtres, suivirent le courant de l'eau pour un dernier voyage vers la Mer Noire. 
Mission spéciale
Jamais je n'oublierai la nuit du 21 au 22 octobre 1943 où il me fut commandé de participer à une " mission spéciale ". Au milieu du fleuve, à 4 km au Sud de KIEV, se trouvait une île de 1 km de long sur laquelle avaient poussé deux arbres. Des tireurs d'élite russes étaient embusqués dans ces arbres et abattaient les personnels de l'infanterie qui creusaient des tranchés sur la rive du Dniepr. L'unité du génie dont je faisais partie, reçut l'ordre de débarquer sur cette île avec un canot pneumatique durant la nuit du 21 au 22 octobre pour détruire les deux arbres qui s'y trouvaient. Le moment le plus pénible de cette mission fut celui ou nous devions vider nos poches de nos pièces d'identité et de nos effets personnels pour ne garder que notre plaque d'immatriculation accrochée avec une ficelle autour du cou. 
Alors que nous étions arrivés au milieu du fleuve, un tir de "Katiouchka" vint frapper notre canot pneumatique. Six de mes camarades furent emportés par les eaux vers ODESSA dans la Mer Noire. Après avoir lutté un bon moment contre le courant, je parvins à regagner le point de départ à la nage. Est-ce par hasard que je fus l'un des rescapés ? 
On l’a échappé belle
Avant de quitter KIEV, capitale Ukrainienne, l'unité de pionniers dont je faisais partie, reçut pour mission la mise à feu des charges explosives que nous avions placées sous les ponts pour les détruire. Il était grand temps de prendre le large puisqu'à tout moment la ville pouvait tomber aux mains des troupes russes. Après avoir marché comme des forcenés jusqu'à 3 heures du matin, nous avons décidé de nous reposer dans une " panier maison " que nous avons découverte sur notre route. Mais le repos fut de courte durée. A peine étions nous endormis, que notre sommeil fut perturbé par l'arrivée de 3 chars T 34. Sur chaque blindé une dizaine de soldats se tenaient accroupis. Les chars ont emprunté la " Roll Bahn " qui passait juste devant notre maison de repos. Notre surprise fut grande, mais heureusement le lieutenant commandant la section a donné l'ordre de ne pas ouvrir le feu pour ne pas déclencher un combat dans lequel nous n'avions aucune chance de sortir vainqueurs. La chance nous a souri puisque les Russes ne nous ont pas repérés, mais il était désormais hors de question de poursuivre notre retraite sur cet axe.
La  difficile marche vers l’ouest
Nous avons donc décidé de couper à travers une large vallée marécageuse dans laquelle nous nous enfoncions jusqu'à la taille. Pour ne rien arranger, les rafales de mitrailleuses sifflaient à nos oreilles et pour m'en sortir, j'ai dû abandonner mon ceinturon auquel étaient attachés ma musette, ma gamelle, et mon bidon. Ce fut une perte cruelle mais pas pour longtemps puisque quelques kilomètres  plus loin, j'ai découvert un soldat mortellement blessé mais qui était encore porteur de son ceinturon avec tous ses attributs. Son ceinturon était juste à ma taille et dans la musette, j'ai même découvert un morceau de pain qui était le bienvenu pour calmer ma faim. 
Comme ceux de mes camarades, mon uniforme et mes sous-vêtements étaient imbibés d'eau et de boue. Dans mes bottes, mes pieds nus étaient meurtris et le froid glacial qui régnait en ce mois de novembre ne faisait qu'aggraver la situation. C'est dans ce contexte que les quelques rescapés de la 1ère compagnie reçurent l'ordre de décrocher vers l'arrière. Robert et moi marchions côte à côte et malgré le froid, la fatigue et la faim, nous nous consolions en nous disant que chaque pas, chaque kilomètre parcouru en direction de l'Ouest, nous rapprochait un peu plus de notre Lorraine. 
Les pauvres pieds
Pour affronter cette longue marche, mon souci principal était de "dégoter" quelque chose de sec pour mes pauvres pieds enflammés. J'ai cherché refuge dans une petite maison et par bonheur dans celle-ci se trouvait une " Madga " ( femme russe ), déjà âgée, qui était vêtue d'une longue robe noirâtre qui pendait jusqu'au sol. Par nécessité, j'ai arraché un bon morceau d'étoffe au bas de sa robe pour remplacer mes pantoufles. La pauvre vieille madga qui ne pouvait bien entendu pas se défendre, hurlait sa colère dans un langage que je ne comprenais pas. Mais au fond, elle avait bon cœur, puisque en voyant mes pieds meurtris, elle cessa de hurler et s'empressa d'aller chercher de la graisse fondue en saindoux qu'elle appliqua sur mes plaies pour calmer la douleur. 
Cette France indigne
Les pertes en homme et en matériel qui ont été infligées à notre compagnie, ont contraint le commandement à nous retirer du front. Nous voilà cantonnés pour quelques jours à l'arrière non pas pour nous reposer, mais pour poser des mines dans le " No Man's land " toutes les nuits. Un soir, je reçus l'ordre de poser une mine d'observation à une centaine de mètres de l'avant poste. Cette mine était destinée à alerter les sentinelles en cas d'intrusion dans notre dispositif. Norbert, Robert et deux autres soldats de notre groupe dont Georges, un Alsacien de la région de MULHOUSE, furent envoyés en éclaireurs. Devant nos yeux, Georges fut fauché par une rafale de mitrailleuse. Son corps s'agita quelques instants, puis se raidit pour toujours. Il venait tout juste d'être affecté dans notre compagnie depuis une quinzaine de jours pour combler les vides.Norbert, furieux de voir encore tomber un des nôtres se mit dans un colère folle. Il commença à insulter cette France méprisable et indigne qui nous a trahi, qui nous a plongé dans le malheur nous les pauvres sans valeur, sans importance et qui comble de la lâcheté, a abandonné deux de ses plus belles provinces. 
Une marche en déroute à  - 25°
Au mois de décembre 1943, alors que nous nous trouvions dans la région de UMANN, le temps devenait encore plus hivernal et plus rude. Le thermomètre descendait en dessous de - 25 °, ce qui n'arrangeait pas la situation de l'armée allemande en pleine déroute, suivie par une masse de soldats Russes. L'artillerie ennemie et l'épouvantable "Ratch Boum" continuaient à faire d'énormes dégâts dans nos rangs. Le froid, la faim et la fatigue aggravaient encore notre malheur. Dans ces conditions, il était difficile d'écarter l'idée que la mort serait ressentie comme une délivrance... Mes caleçons devenaient de jour en jour plus courts, au point qu'à la fin, il ne me restait plus qu'un slip. La distribution du courrier était toujours un moment très attendu. Imaginez quelle fut ma joie lorsque je reçus un paquet contenant un pull en laine tout neuf que mes parents avaient dû rayer de leurs cartes d'habillement pour l'acquérir. Je me réjouissais de pouvoir le porter surtout que le froid devenait de plus en plus rude. 
Les poux
Mon plaisir de porter ce pull fut pourtant de courte durée, car quelques jours plus tard, les poux avaient envahi mon trésor, ça me chatouillait et me gratouillait de toutes parts. Je voulais au plus vite me séparer de ce pull si cher. Un soir, ne trouvant pas d'autre solution, j'ai pensé que le froid aurait raison de ces bestioles. J'ai donc enfui mon trésor dans la neige mais comble de malchance, la "Staline Orgel " a bombardé notre campement durant la nuit et au matin, il n'y avait plus ni bestioles ni pull-over. 
Je n'ai pas soufflé mot de cette aventure à mes parents. Ce n'est qu'après mon retour, un soir d'intimité que je leur ai raconté cette histoire de poux et de pull pour lequel ils s'étaient donné tant de peine afin de me le faire parvenir. 
Je me souviens également du 10 Décembre 1943. Ce fut une journée relativement calme et nous avons tué le temps à discuter entre Lorrains. 
Sortirons nous un jour vivants de ce merdier ? C'est la question que chacun de nous devinait dans la pensée de l'autre, sans pourtant oser la poser directement. Reverrons nous les nôtres et la chère Lorraine ? 
Afin de remercier mes parents pour l'indispensable pull qu'il m'avaient envoyé, je me suis décidé à leur écrire. Bien évidemment, je ne pouvais pas leur dire toute la vérité sans crainte de les effrayer. 
Se prendre pour  un vieux guerrier à 19 ans
Mes 19 ans dataient à peine de 6 mois et j'avais l'impression d'être déjà un vieux guerrier. Je devais  écrire des lettres à beaucoup de monde, à mes copains de HESSE qui sont malgré-nous comme moi, notamment à Aloyse mon copain d'enfance, à Léon GROSSE et Louis HELWIG, mes copains du football, qui sont malheureusement morts tous les deux en Russie. 
C'est horrible lorsqu'à 19 ans on a le ventre creux et que durant des semaines on n'a pas eu le moindre repas chaud à se mettre sous la dent. Une ration prévue pour 24 Heures était dévorée dès sa réception le soir même. Cela a l'air d'une « contade » mais c'était tellement sérieux que durant les 24 heures qui suivaient nous n'avions plus rien à manger.
Un arbre de Noël sur le front 
Comme toutes les nuits, nous posions des mines de tous calibres dans le " No- Manns-Land " jusqu'au 20 décembre si près de Noël. Oui j'avais l'espoir de vivre encore ce jour de fête. Nous avons eu la chance de pouvoir nous procurer un arbre de Noël pour essayer de commémorer en période de guerre la fête de la paix... 
 Il était beau notre arbre de Noël. Un peu coincé dans le coin de notre abri, décoré avec du papier aluminium, des étoiles découpées dans du carton et quelques flocons de coton hydrophile. 
Quel ne fut pas notre bonheur lorsque l'intendance nous a livré une attribution exceptionnelle de produits alimentaires. C'était notre cadeau de Noël du Führer. Chacun a reçu une tablette de chocolat fourré à la framboise, un paquet de petits beurres, des cigarettes suisses et du cognac des Charentes. 
A peine avais-je dévoré ma tablette de chocolat, que je fus désigné pour participer à une patrouille de reconnaissance qui devait infiltrer les lignes ennemies durant la nuit. Le but de cette mission n'était pas de faire des prisonniers, mais de recueillir le maximum de renseignements sur les positions russes. Le commandement a décidé de mener cette action puisque durant les jours qui précédaient Noël, nous entendions en permanence le ronflement de moteurs de chars et de camions. Suivant la direction du vent, nous pouvions même sentir l'odeur des gaz d'échappement. En réalité, il se préparait bel et bien une offensive russe. 
Un festin pour Noël
Dans une de leurs lettres, mes parents m'avaient annoncé l'envoi de deux colis de 1 Kg. L'un contenant des gants et l'autre un cache-nez. Ils avaient décidé de me faire parvenir un cadeau de Noël " utile ". Mais au moment de la distribution du courrier, mon nom ne fut pas appelé. Je ne recevrai jamais ces colis dont le contenu m'aurait pourtant permis d'affronter le froid dans de meilleures conditions. 
Je garderai toute ma vie le souvenir de ce Noël 1943. Nous avons eu droit à un vrai festin à midi. Une cuisse de poulet, des légumes et comble du bonheur, du pudding en désert. A l'occasion de cette journée de fête, j'aurai bien aimé au moins changer ma chemise puisque Norbert, pour animer un peu les débats, m'a lancé << Léon, ta chemise est Dunkelweiss >> ce qui veut dire en allemand " blanc foncé ". Heureusement qu'il n'a pas parlé de mes caleçons qui n'étaient plus " blancs foncés " mais plutôt " noirs clairs « .
Les attaques continuent 
Le 26 décembre, les artilleries des deux côtés se taquinaient sérieusement, histoire de nous rappeler que nous étions toujours en guerre. 
Le 27 décembre, à 5 heures du matin, l'alerte fut donnée. Tout le monde en position, " l'Ivan " attaque ! 
La stratégie des Allemands était de laisser avancer l'ennemi au maximum afin de le surprendre par un tir serré. Armé de ma MG. 42, capable de tirer 1.000 coups à la minute, je me sentais en sûreté. Soudain j'aperçus des silhouettes blanches se déplacer non loin de nos lignes. Il s'agissait de soldats russes, mais qui ne nous en voulaient pas directement. Je n'ai donc pas ouvert le feu pour ne pas me faire repérer. 
Cette première offensive fut repoussée sans grandes difficultés. Je pense que les Russes voulaient simplement tester nos moyens de défense. 
Les Russes montent à l’assaut
Le 02 Janvier 1944, de bon matin, nous avons été réveillés par le ronflement des moteurs de camions et de tanks. Immédiatement l'artillerie ennemie s'est mise en action. Une fois de plus, la " Staline Orgel " déversa ses obus sur nos tranchées. Cette fois c'était pour de bon. Les soldats Russes se ruaient à l'assaut du front sur plusieurs centaines de mètres en lançant leur traditionnel cri de guerre. Le << HOURAI >> qu'ils hurlaient en se jetant vers nos lignes me glaça les os jusqu'à la moelle. 

Avec l'énergie du désespoir, nous résistions. Il fallait coûte que coûte tenir au moins jusqu'au soir. Avec impatience nous attendions la nuit qui mettrait fin à cette tuerie et nous permettrait de quitter nos tranchées. Lorsque l'ordre de se replier au plus vite fut donné, les morts furent enterrés dans un trou d'obus et recouverts de neige. Je me demandais pourquoi cette guerre, pourquoi tant de haine et d’intolérance.
C’est la retraite sous la neige à -35°
Comme d'habitude, ce sont les pionniers du génie qui formèrent l'arrière garde. Vers minuit, dans un grand silence et après un dernier adieu aux chers camarades morts dans les tranchées, nous abandonnâmes à notre tour les positions si chèrement défendues la veille. 
Le moment de la retraite avait bel et bien sonné. Pour fuir " L'IVAN ", nous avons dû marcher péniblement durant des heures dans une épaisse couche de neige qui ne cessait de tomber. Le thermomètre affichait moins 35 degrés mais pour survivre, nous devions marcher malgré le froid et la faim qui nous tenaillaient. La retraite se poursuivait inexorablement et rien ne nous sera épargné. Durant des jours entiers nous n'avons mangé que de la neige. Le moral des trois Lorrains était au plus bas. Vais-je sortir vivant de cet enfer ? Je n'osais plus y croire.
Souffrir de la faim et du froid 
Durant toute la fin du mois de janvier, nous avons souffert de la faim et du froid. A part quelques accrochages avec l'ennemi, février fut consacré à miner les ponts dans le but de les détruire et retarder ainsi l'offensive de l'armée rouge. 
Quelle ne fut pas notre surprise lorsque nous découvrîmes au détour d'une route une grange que nous nommions <<kolschhos>> et qui servait à stocker les vivres et les vêtements de l'armée allemande. Bien évidemment l'intendance avait abandonné les lieux laissant sur place de nombreuses victuailles. C'est ainsi que j'ai pu m'approprier un pull-over tout neuf, du chocolat hollandais et des cigarettes suisses. Après avoir rempli toutes les poches et le capuchon de mon manteau de chocolat et de cigarettes, il fallut reprendre la marche. Quel bonheur de pouvoir enfin manger autre chose que de la neige! Mais notre bonheur fut de courte durée. 


Marcher dans la raspoutiza
Brusquement la neige s'arrêta de tomber et il se mit à pleuvoir. Les emballages du chocolat et des cigarettes ne résistèrent pas longtemps à l'humidité, rendant rapidement notre butin inconsommable. 
De jour en jour la température augmenta, transformant la route du désespoir en une myriade de rigoles de boue dans lesquelles nos bottes s'enfonçaient rendant encore plus fatigante notre retraite. 
Le repli en direction du Dniestr qui forme la frontière entre l'UKRAINE et la ROUMANIE, dura plus de quatre semaines. Le "glorieux" commandement allemand croyait pouvoir stopper sur ce fleuve l'avancée de l'armée rouge. Pourtant la situation devenait de jour en jour plus précaire et selon certaines rumeurs, l'armée russe était sur le point de nous encercler. 

Encerclé par les Russes
Au mois de mars en ROUMANIE, la rumeur devint réalité. Le 175ème bataillon du génie dont je faisais partie, la 222ème division d'infanterie et une partie d'une division blindée armée de chars Tigre et d'une douzaine de véhicules blindés furent encerclés durant cinq semaines. Pour pouvoir faire face aux attaques ennemies, le ravitaillement et les munitions furent parachutés. Jour après jour, nous devions nous battre comme des lions, rendant oeil pour oeil afin de briser l'encerclement. La bataille fut sans pitié. Les blessés hurlaient leur douleur vers le ciel et de nombreux morts étaient éparpillés dans les alentours. 
Un matin, notre petit groupe prit possession d'une " panier maison " implantée au bord de la route. Derrière cette maison, nous découvrîmes des ruches pleines de miel. L'eau nous montait à la bouche et nous avons englouti tout ce miel à la cuiller sans même le moindre morceau de pain, en prenant soin de remplir également la gamelle en prévision des repas à venir. 
Une gastro malvenue
Le même jour à midi, la cuisine roulante d'une compagnie d'infanterie se proposa de nous préparer une soupe d'orge perlée avec des morceaux de lard. Notre cuisine ayant été anéantie depuis longtemps par un tir de "Ratsch Boum", nous ne pouvions pas laisser passer une telle aubaine. 
Avant que le cuisinier n'organise la distribution de cette fameuse soupe, il fallût bien que je vide ma gamelle du miel qui s'y trouvait. En cette période de pénurie, il n'était pas question de rater un tel festin mais à peine avais-je dévoré la soupe que je fus pris de terribles crampes d'estomac. Ces douleurs me firent craindre le pire et je n'ai même pas eu le temps de sortir que déjà le foie se révolta et rejeta en bloc tout ce que je venais d'avaler. 
Au même moment, je sentis un liquide chaud couler le long de mes cuisses et se perdre dans le fond de mes bottes. Peut-on être plus malheureux ? 
Heureusement un petit ruisseau coulait non loin de là, ce qui m'a permis de rincer à grande eau mes bottes, mon pantalon, ma chemise et ce qu'il restait de mon caleçon. En remettant mes vêtements, je fus même étonné. J'avais à peine plus froid qu'auparavant. 
Les monstruosités de la guerre
Malgré tout, la lutte continuait et les villages abandonnés que nous découvrions témoignaient de récents combats. 
J'étais habitué à voir toutes les monstruosités, mais je ne veux pas vous raconter en détail les horreurs que j'ai pu découvrir dans ces villages abandonnés. Je citerai simplement ces femmes dénudées qui ont été violées avant de mourir étouffées par une pièce de sous- vêtement de soldat introduit dans la bouche où ces soldats que nous avons découverts crucifiés comme Jésus sur la façade d'une "Panier Maison". 
Manifestement, les Russes ont préparé le terrain avec une telle ardeur qu'il ne fait plus aucun doute qu'il ont décidé d'en finir avec nous comme à STALINGRAD. 
Nous les anciens savions que plus rien maintenant ne pouvait arrêter la marche victorieuse des armée rouge. Les souffrances des survivants, devenaient chaque jour plus lancinantes. Par bonheur nos chars " Tigres ", bien équipés et robustes crachaient leur feu meurtrier tout comme nos véhicules blindés avec leurs mitrailleuses. Les armes de l'infanterie ont fait des ravages dans les rangs ennemis. Les morts se comptaient par centaines. Les terrains de bataille étaient jonchés de cadavres.

Sauvés grâce aux blindés
 Une fois de plus, nous sommes sortis indemnes de cette tourmente. Nos blindés ont réussi à trouer, à percer la défense russe nous permettant de rejoindre les troupes allemandes dans leurs tranchées. 
Nous voilà dans les Carpates, près d'une petite ville nommée TARNOPOL. C'est un petit pays <<galitzien>> grand comme la Lorraine où les maisons sont construites en pierres. Il paraît qu'il y a bien longtemps, des familles lorraines ont trouvé refuge dans ce pays montagneux qui ressemble à nos Vosges. 
Par une belle journée ensoleillée du mois d'avril, j'ai eu l'idée de poser sur le bord de la tranchée mon pull que j'avais récupéré par bonheur. En effet, les puces me chatouillaient de partout. Mais quelle ne fut pas ma surprise lorsque je vis mon pull bouger, recouvert par un amas de bestioles ressemblant à des fourmis. Les puces revigorées par le soleil printanier prenaient gentiment un bain de soleil. 
Convoqué chez le capitaine
Les jours de repos que nous passions à l'arrière du front n'étaient entrecoupés que de quelques rafales de mitrailleuse. Le 12 avril au matin, le secrétaire de notre capitaine commandant la compagnie s'est déplacé dans notre tranchée en disant "ordre du capitaine MULLER - le pionnier SCHREIBER doit se présenter au plus vite au poste de commandement". Une telle convocation pouvait présager le meilleur et le pire. Mon cœur battait très fort lorsque je me suis présenté devant mon capitaine en claquent des talons tout en saluant comme un vieux soldat. Repos me dit le capitaine qui était un homme généreux, gentil et de nature très calme. Mon ami de combat, prépare toi. 
Une bonne nouvelle
Demain matin à neuf heures, nous partons en permission pour 21 jours ! me dit-il. L'annonce de cette nouvelle me coupa le souffle. Est-ce un rêve ? Je n'ai pas eu le temps de demander des explications que déjà j'avais une nouvelle mission. Je serai le garde, le serviteur et le compagnon de mon capitaine pour toute la durée du voyage et à ce titre je devais immédiatement percevoir le ravitaillement pour deux hommes et pour huit jours auprès du maréchal des logis fourrier. Une portion pour le capitaine, une autre pour le soldat. 
A peine étais-je revenu dans l'abri avec mes deux colis, que j'eus la visite de Robert et de Norbert, inquiets de mon absence prolongée. Bien évidemment, je ne pouvais cacher ma joie en leur annonçant la nouvelle de ma permission pour le lendemain matin. Enfin je pourrai revoir notre chère Lorraine. Le contenu de mes deux colis était évidemment d'une importance capitale et nous n'avons pas résisté bien longtemps à l'envie de les ouvrir en cachette. Quelle ne fut pas notre surprise, les deux paquets contenaient chacun un bouteille de champagne. Dans celui du capitaine il y avait en plus des sardines à l'huile, du saucisson, du beurre frais et toutes sortes de bonnes choses. J'étais un peu moins gâté mais je n'avais pas à me plaindre. 
Départ en permission
Pour sceller notre amitié, nous avons immédiatement vidé ma bouteille mais également celle de mon capitaine qui de toute façon ne pouvait pas se douter qu'un tel trésor faisait partie de la ration de guerre. 
Avant d'aller me coucher sur la paille j'ai encore assuré mon dernier tour de garde mais je n'ai pas réussi à trouver le sommeil, tellement j'étais excité par mon départ imminent. A l'aube, Robert, Norbert et les quelques anciens qui avaient survécu, étaient très émus lorsque je les saluais d'une dernière poignée de main. Au revoir Léon, bon voyage, mais n'oublie de pas de revenir si tu veux que nous aussi puissions bénéficier d'une permission... 
Qui aurait cru que je venais de serrer la dernière fois la main de mon ami Robert, mon camarade de lutte. A l'âge de neuf ou dix ans, en vacances à LIXING chez ma marraine, nous étions tous deux enfant de cœur. Ensemble nous jouions aux billes ou à cache-cache dans les carrières de LIXING. 
Enfin le plaisir de la propreté
Deux minutes plus tard, une jeep démarre en trombe pour nous emmener loin du front en direction de Lemberg en POLOGNE où nous fûmes hébergés dans le foyer du soldat. Dès le lendemain, nous avons eu droit à une douche et à une désinfection en règle avant de finir chez le coiffeur. Revêtu d'une chemise, d'un caleçon neuf et enfin libéré de mes puces, je me sentais comme un nouveau-né. Rapidement, l'heure du départ fut fixée et le numéro du train à utiliser me fut communiqué. Toujours avec mon capitaine qui occupait le compartiment à coté du mien, le train express réservé aux permissionnaires s'ébranla, direction "Heimat" en Lorraine. Longtemps j'ai scruté à travers la fenêtre, le regard perdu dans le lointain vers l'est. Vers cette terre d'Ukraine, que si jeune, les hasards de la guerre m'ont fait découvrir. 
Quitter le pays de la souffrance pour son pays natal
Vers ce pays où toujours privé du nécessaire, j'ai souffert dans mon corps et dans mon âme, mais que dans trois semaines, je devrais retrouver. 
Le train nous emporte à travers la POLOGNE par Tarnov et Cracovie. De temps en temps j'allais rendre visite à mon capitaine dans le compartiment à côté, réservé aux officiers, pour lui demander quelque chose à manger. Heureusement, il n'était pas gourmand le pauvre vieux. Il se contentait d'une tartine de beurre avec de la confiture ou encore d'une bouchée de pain avec quelques tranches de saucisson, tandis que je me régalais avec toutes ces bonnes choses. Durant toute la nuit, le train filait à travers l'obscurité en direction de la frontière vers Breslau, Dresden et Leipzig où il fallut changer de train. Nouveau départ en direction de Francfort où mon capitaine m'a quitté, m'autorisant à déroger à mes obligations. Après m'avoir remercié pour les bons soins attribués, il me souhaita un bon voyage et d'agréables journées de repos.
-  Moi aussi mon capitaine, je vous souhaite une agréable permission.
Au revoir mon capitaine. 
Enfin la Lorraine et la famille
Après un dernier contrôle de papiers après Francfort j'arrive enfin à Sarrebruck où par chance, j'ai de suite un train pour Sarreguemines. Me voilà dans mon pays, ma chère Lorraine, ma chère petite patrie. Un dernier changement de train et me voilà à Sarrebourg où me revient le souvenir de cette journée funeste de mon départ le 18 octobre 1942. 
Encore une heure de marche sous un soleil brillant de tous ses éclats. C'est le printemps dans la nature, mais plus encore au fond de mon cœur, et à 14 heures, fatigué par le long voyage mais au-delà heureux, je tombe dans les bras de mes parents qui pleurent de joie. Depuis des semaines sans nouvelles de moi en raison de l'encerclement de mon unité en Roumanie, ils attendaient tous les jours le facteur dans l'espoir d'une lettre. Mais à cette heure de l'après midi, ils ne s'attendaient pas à tant de bonheur à la fois. 
La joie des retrouvailles
Rapidement j'apprends des nouvelles du pays, mais pas des meilleures. Mes camarades de Hesse incorporés avec moi, mes amis de l'équipe de football ne sont plus de ce monde. Léon GROSSE, Louis HELWIG, R. VOGEL et notre voisin BOURGEOIS sont morts, éparpillés du nord au sud de la Russie, malgré eux, dans leur uniforme infâme sans honneur ni gloire. 
Le jour tombe déjà, j'ai apprécié la joie des retrouvailles de cette première journée passée en famille. Quel bonheur de dormir après une éternité dans un bon lit douillet, ce qui ne m'empêche pas d'avoir une pensée émue pour mes copains au loin qui ne jouissent pas même du même confort et je ne voudrai pas m'endormir avant de remercier le ciel de m'avoir accordé ce bonheur. Durant cette première nuit de sommeil je fis un rêve des plus capricieux. J'étais retourné sur le champ de bataille et c'est trempé de sueur que je me suis réveillé de ce cauchemar. 
Un cas de conscience
Dans ces cas, les jours passent trop vite pour ceux qui se trouvent directement concernés. Au fur et à mesure que le temps s'écoule, un problème crucial reste à résoudre pour moi. La date du départ approchant, il ne me reste plus que quelques jours pour prendre une grave décision. Dire adieu à mes camarades en Russie, n'est-ce pas une lâcheté ? Regagner la FRANCE libre en Charente pour y vivre provisoirement jusqu'à la fin de la guerre comme plusieurs de mes camarades ainsi que mon frère ? Je pense au risque encouru, à la sécurité de mes parents qui auraient inévitablement été déportés. Leur sort dépendait de ma décision. Pouvais-je revendiquer ma liberté en sacrifiant la leur ? Assurément non. Ainsi, le cœur gros, je répondis à l'appel de Robert et de Norbert, mes amis de Russie. L'avenir ne me paraissait jamais aussi chargé que ce jour. Le lendemain matin en ouvrant le journal, les nouvelles du front me font frémir. "Violents combats autour de la ville de Tarnopol dans les Carpates". Où sont mes camarades à l'heure qu'il est ? Je n'ose y penser. 
Je mis à profit l'une de mes dernières journées de permission pour rendre visite à mon oncle et à ma marraine à Lixing ainsi qu'aux parents de Robert qui furent très heureux de me revoir. Ils m'ont préparé un paquet contenant plein de bonnes choses que je devais lui ramener. 
Le retour sur le front
Le 14 Mai à trois heures du matin, je fis mes adieux à ma famille. Ma mère est en larmes et j'essaye vainement de la consoler. Mon père qui a fait la guerre 14/18 ne sait quelle contenance prendre en me serrant dans ses bras. 
Après avoir enfilé mes vêtements militaires et mes bottes, ce fut mon ami Jean BOPYLOF qui m'accompagna jusqu'à la gare de Sarrebourg. Après une poignée de main, au revoir et bon courage, me voila sur le chemin du retour dans ce calvaire de la lointaine Pologne. Direction Sarrebruck, Francfort et Landsberg où je mis à profit les deux heures d'arrêt pour visiter rapidement cette coquette petite ville toute proche de la frontière polonaise. Après m'être dégourdi les jambes, je repris le train en direction de Jitomir en Pologne et de là vers le Sud dans la caisse d'une camionnette pour atteindre le front. Déjà de loin, des fusées éclairantes embrasaient le ciel. Le sillage des orgues de Staline déchirait la nuit dans un grondement sourd tel qu'un orage lointain. L'effet de ces engins devait être terrible pour ceux qui le subissaient. 
Mort de Robert 
Péniblement, je chargeais sur mon épaule les deux précieux paquets qui m'avaient été remis par mes parents et ceux de Robert et après deux heures de marche, tout joyeux j'ai enfin retrouvé ma compagnie qui fut durement maltraitée durant mon absence. 
Mais un retour tragique me guette. Je revois mon ami Norbert et immédiatement la crainte s'installe dans mon esprit. Norbert en me voyant éclata en sanglots. Les larmes coulèrent de ses yeux. <<Robert notre camarade>> C'est tout ce qu'il arriva à prononcer les larmes dans la voix. Nous nous regardâmes longuement sans mot dire. Le silence était encore plus pesant que les paroles. 
Notre ami, notre camarade n'est plus de ce monde. Il est parti à jamais et je ne reverrai plus son regard si généreux et si cordial. 
Mort pour rien
Trois pionniers avaient été choisis pour reconnaître un moulin situé dans le "No Mans Land" avec pour mission de le déminer au besoin. Mes deux camarades lorrains avaient été désignés pour accomplir ce travail. Le soldat en faction au poste de garde avancé a été relevé durant le temps de cette mission et le remplaçant n’a pas été informé du retour imminent des trois pionniers. La sentinelle croyant à une attaque ennemie a ouvert le feu avec sa mitrailleuse lorsque les trois hommes se sont présentés. Robert s'écroula affreusement blessé et il succomba sur place dans les bras de Norbert. Le lendemain matin à l'aube, nous nous sommes mis en route pour atteindre le petit cimetière improvisé sur le flan d'une colline bordée d'arbres où reposaient une trentaine de soldats allemands. Chaque tombe étaient "ornée" d'une croix en bouleau sauf celle de Robert sur laquelle arborait une croix de lorraine, une gerbe en sapin et une plaque métallique, façonnée par son ami Norbert et sur laquelle était inscrit "ROBERT ADAM Mort le 09 Mai 1944. 

Adieu notre ami, nous ne t'oublierons jamais. 
Sa tombe ressemblait à une grande taupinière sous laquelle reposait notre cher camarade non pas dans un cercueil, mais enveloppé dans un morceau de bâche. Les larmes de deux pauvres malheureux lorrains mouillaient la terre d'UKRAINE. 
J'ai longuement tardé avant de présenter mes condoléances à ses parents et à ses sœurs, mais je ne voulais ni dire, ni écrire, ni expliquer les conditions horribles dans lesquelles leur deuxième fils a trouvé la mort et la façon dont il a été enterré. 
Mais ce qui restera de meilleur pour perpétuer notre ami, ce sera sans doute le souvenir de sa générosité et de son courage. Je suis sur qu'il est heureux dans le paradis des braves où il est allé rejoindre toutes les âmes innocentes de nos frères sacrifiés et qu'il réalisera que par sa mort il a rendu éternelle notre oeuvre. 
C'est rongé par le chagrin et envahis par une grande tristesse que nous avons regagné notre tranchée non loin d'un petit village appelé Nicolayef. 
Je suis gravement blessé
Le lendemain soir, l'ordre nous fut donné de nous préparer pour aller poser des mines antichars dans le no mans land à 250 mètres des tranchées russes. A peine étions nous parvenus à atteindre notre secteur de travail que des tirs d'artillerie russe éclatèrent. Un obus est tombé près de moi et immédiatement j'ai senti un choc violent dans le dos. J'ai bien essayé de me relever aussitôt, mais mes jambes se dérobaient sous mon corps. Par miracle, la mine que je portais sous le bras et la douzaine de détonateurs que j'avais dans les poches n'ont pas explosé. 
Un liquide chaud coulait le long de mon bras mais je n'ai même pas eu le temps d'évaluer la gravité de mes blessures que déjà une mitrailleuse russe venait de se mettre en action. Les balles sifflaient à mes oreilles, ce qui m'obligeait à rester allongé. Je parvins tout de même à appeler au secours et ce sont deux soldats de l'infanterie qui m'ont traîné dans leur tranchée pour me mettre à l'abri des tirs. Ces deux soldats m'ont enveloppé dans une couverture, mais je commençais à grelotter et à perdre conscience de temps en temps. Certainement me trouvais-je en état de choc puisque je perdais abondamment mon sang. J'avais le pied gauche déchiqueté et de multiples éclats dans le corps. La souffrance de cette nuit fut affreuse. Heureusement Norbert s'était porté à mes côtés et me tenait la main tout en trouvant les paroles pour me consoler. C'est encore lui qui à quatre heures du matin m'accompagna lorsque je fus chargé sur une charrette tirée par un petit poney qui allait me conduire à l'arrière dans une grange transformée en <<Verbandsplatz>>. 
Les premiers soins
Maintenant Norbert était le dernier des nôtres dans ce calvaire. 
Après un dernier mot, une dernière parole, il me quitta et à nouveau les larmes des deux Lorrains coulaient en abondance. 
Toujours enveloppé dans ma couverture, je fus transporté au poste de premier secours où une douzaine d'autres blessés attendaient déjà. Un infirmier s'est avancé vers moi et m'a tendu un gobelet à moitié rempli d'eau et une cigarette. Immédiatement, il constata que j'avais les yeux troubles. Sans attendre, ce colosse d'infirmier me souleva et me porta dans une pièce voisine sur une table d'opération. Sans autre explication il me mit le masque sur le nez pour pratiquer une anesthésie générale. Je me souviens avoir compté jusqu'à trois et me voilà parti dans l'éternel. 
Lorsque je me suis réveillé sur la paillasse d'une couchette, l'infirmier qui se trouvait à côté de moi m'informa que je venais de dormir durant 16 heures. Mes deux jambes et mon bras droit étaient immobilisés dans une gouttière. 
Une fois de plus j'ai eu beaucoup de chance. Malgré les multiples éclats qui avaient pénétré mon corps, aucun organe vital n'a été atteint. Par contre mon pied gauche a du être amputé. 
Il était question de se débarrasser au plus vite de tous les blessés transportables afin de libérer la place pour les nouveaux arrivants. 
L'effet de l'anesthésie ayant disparu, je commençais à souffrir et à avoir de la fièvre, mais je n'osais pas me plaindre. Mes plaies saignaient et suppuraient abondamment au point que mes bandages en papier collaient désagréablement à la peau. 
Enfin un lit
Rapidement un véhicule sanitaire me transporta avec plusieurs autres blessés vers un <<Feldlazaret>> où un véritable lit avec des draps blancs m'attendaient. 
Les infirmiers et de charmantes infirmières s'occupaient de moi avec dévouement. J'étais heureux mais à bout de force vu la quantité de sang que j'avais perdue. Par contre, la température ne cessait d'augmenter atteignant 40 degrés. 
Ne sachant plus comment faire pour réduire la température, le médecin chef qui redoutait la gangrène, décida de m'amputer de la jambe gauche dont les tissus était déchiquetés. En apprenant cela, j'ai hurlé de toutes mes forces, le suppliant de me laisser ma jambe. Après un examen approfondi sur la table d'opération, le médecin constata que ma fesse droite était enflée en raison d'une blessure provoquée par un éclat d'obus. Cette blessure infectée était responsable de la température chronique. Après avoir désinfecté cette blessure, le chirurgien renonça à m’amputer, mais durant plusieurs jours du sang s'écoula de cette plaie au point d'imbiber la paillasse de mon lit. Pour calmer la douleur, les infirmiers m'injectaient périodiquement de la morphine. 
Cet éclat d'obus, de la grosseur d'une noix, est toujours solidement incrusté dans ma fesse et cela 50 ans après la date de la blessure. 
Du sang russe
Par chance, un prisonnier de guerre russe, qui occupait les fonctions d'infirmier était du même groupe sanguin que moi. A huit jours d'intervalle, deux transfusions de 750 centilitres me furent administrées, provoquant une chute de la fièvre. Le sang russe qui coule à présent dans mes veines m'a permis de reprendre doucement force et courage. 
Dès que mon état le permit, je fus évacué à bord d'un petit avion sur Milleck puis à bord d'un D 22 jusqu'à Jungbunzlau en TCHECOSLOVAQUIE et pour finir à Vlachim près de Prague. 
Gefalle für Grossdeutschland
Durant toute cette période, je suis resté en correspondance avec Norbert, mon ami de lutte. Les nouvelles qu'il me communiquait n'étaient pas toujours des meilleures. C'est ainsi que j'appris la mort de notre lieutenant et de bien d'autres camarades. Il termina sa lettre par ces mots << et qui me fermera un beau jour les yeux >>. Avait-il un pressentiment ? Ma dernière lettre qui lui était destinée me’a été retournée avec cette mention tragique "GEFALLEN FUR GROSSDEUTSCHLAND". 
Pauvre Norbert, le dernier de mes chers reposera aussi sans honneur, sans égards dans cette terre lointaine. 
Enfin à l’hôpital
A Vlachim, une vingtaine de baraques constituaient un hôpital uniquement réservé aux amputés des bras ou des jambes. L'une des baraques était même équipée de tout le matériel nécessaire à la fabrication de prothèses. 
Même si mon état de santé s'était amélioré, j'étais toujours cloué au lit en raison d'une plaie purulente de ma jambe gauche immobilisée dans une gouttière. Le talon du pied gauche me démangeait de plus en plus et cela m'empêchait de dormir. L'infirmier, que je suppliais de me débarrasser de cette sacrée gouttière finit tout de même par s'inquiéter de mon cas. Quelle ne fut pas sa surprise lorsque il découvrit dans le coton de la gouttière, un nid de punaises qui avaient déjà passablement attaqué la chair de mon talon ! Dès que ces bestioles furent éloignées la douleur s’estompa.
Un nouvel ami
D'autres blessés arrivaient à l'hôpital et parmi eux se trouvait MANN Joseph, un compatriote Lorrain de Berig-Vintrange que nous avons appelé "Sep". Lui aussi est devenu un excellent ami. Un éclat d'obus lui avait arraché le bras droit. 
Je me remettais lentement de mes blessures et mon état me permettait même de faire quelques pas dans la chambre avec des béquilles. Rapidement notre petite chambrée est devenue un véritable casino où tout le monde jouait au 4/21, au Skat ou encore aux échecs. Pour passer le temps chacun racontait son histoire drôle. 
Plus de nouvelles des parents
Vers le mois de novembre, n'ayant plus de nouvelles de mes parents, je me suis mis à m'inquiéter sérieusement sur leur sort. Les troupes américaines ayant occupé une partie de notre chère Lorraine, le courrier postal ne pouvait plus arriver à destination. C'est dans ces conditions que l'on s'aperçoit combien il est difficile d'être banni dans le lointain sans nouvelles de ses proches. Le courrier devient sacré et a une valeur inestimable pour celui qui le reçoit. 
De nombreux blessés arrivaient régulièrement à l'hôpital et parmi eux se trouvait un Lorrain, Alfred PUFAL de NILVANGE. Le malheureux a eu le bras gauche fracassé par une balle explosive. Son membre était immobilisé dans une gouttière. Lui aussi était content de rencontrer un Lorrain et rapidement il est devenu notre ami. 
De temps en temps, je me sentais pourtant désespérément seul. Loin de ma famille et sans nouvelles d'elle, je me laissais aller à la rêverie en pensant à mes amis de Russie, Roger, Robert, Norbert, mais également à notre infirmier Claus, tous mes camarades enterrés dans cette terre lointaine. 
Une marraine de guerre
Mon voisin de lit était un jeune de mon âge, un vrai "gentleman" de la région de Kitzingen am Main. Il devint également un très bon compagnon. Avec son bras dans le plâtre il me regarda méditer et me voyant plongé dans une affection profonde, il me demanda les raisons de cette tristesse. Je lui ai raconté un peu de ma tourmente et de mon inquiétude vu que je ne pouvais plus correspondre avec ma famille ni avec mes amis. Eh bien me dit-il, pour te distraire, je te donne l'adresse de ma voisine Gertrude. Elle sera heureuse de devenir ta petite marraine de guerre. Je me suis aussitôt mis à écrire une belle lettre à Gertrude où je racontais ma vie militaire, ma tristesse et mon malheur, avant de signer "ton soldat inconnu". 
A peine huit jours plus tard, je reçus déjà une réponse. Dans sa lettre Gertrude trouva les mots consolants, réconfortants, qui m'ont redonné le moral et la joie de vivre. Une correspondance amicale s'instaura entre nous. Elle était contente de pouvoir réconforter un soldat et moi j'avais trouvé quelqu'un pour échanger mes idées. Ainsi elle me raconta les malheurs qui ont frappé sa famille. Son frère aîné était prisonnier en Angleterre, le second a subi une amputation de la jambe droite et le plus jeune a été signalé disparu en Russie. Encore aujourd'hui, après tant d'années, je garde un souvenir remarquable de ses lettres que je relis régulièrement avec émotion. 
Restriction de la nourriture
Les jours et les semaines passaient pourtant assez vite. Bientôt ce sera à nouveau le jour de Noël. Mes pensées retournèrent à l'année 1943, là bas dans les tranchées avec mes amis qui ne sont plus de ce monde. De petits flocons de neige annonçaient la venue de l'hiver qui heureusement n'était pas très rude. A Noël, pas de festin comme en 1943, pas de cuisses de poulet, pas de pudding en dessert mais nous avons tout de même érigé une arbre de Noël dans notre chambre. 
La nourriture devenait de jour en jour plus restreinte et les casse-croûte plus minces. Comme le dit bien le proverbe " aide toi et dieu t'aidera ", nous avons mis en exergue ces mots. Non loin de notre baraque se trouvait un champ de pommes de terre. Profitant de la douceur de l'hiver, nous avons arraché ces tubercules pour améliorer l'ordinaire mettant ainsi en application un autre proverbe " qui a faim, mange tout pain " et croyez moi, ces pommes de terre étaient excellentes. 
La guerre se rapprochait rapidement et dangereusement de la frontière. Des fanatiques allemands se trouvant parmi nous, criaient encore " vive notre führer et la grande Allemagne ". Nous les Lorrains, faisions mine de dormir pour ne pas éveiller les soupçons. Le printemps approchait ainsi que le front. Vers la fin du mois de mars, le grondement de la bataille toute proche était perceptible. 
Prisonnier de guerre
Le matin du 8 Mai 1945, soit le jour de l'armistice, des soldats russes accroupis sur des chars ont envahi nos baraquements. Me voilà prisonnier de guerre. 
Les Russes nous ont fouillé de la tête aux pieds à la recherches d'armes. Ils se sont également emparés de nos bijoux, nos bagues, nos montres, notre tabac et le schnaps. 
Droit de parler le français
Oui, j'étais devenu prisonnier de guerre, mais enfin j'avais le droit de parler notre langue française sans craindre les représailles. Un alsacien dans la chambre voisine joua sur son harmonica des airs que tous reprirent en chœur, notamment " Attends moi, mon amour dans ce beau coin de France ". 
Les Russes qui ignoraient tout de notre situation, furent très étonnés d'entendre des soldats allemands parler la langue française. Ce langage n'était d'ailleurs pas sans danger puisque la légion des volontaires français (L.V.F) a combattu sur le front russe aux côtés des armées nazies. 
Seulement une soupe par jour
Ma nouvelle situation a rendu les rations alimentaires encore plus minces. A midi, deux louches de soupe constituaient le seul repas de la journée. Je me souviens des deux petits pois, qui au fond de ma gamelle, se livraient à un étonnant match de boxe. J'avais le ventre creux tout au long de la journée. 
Un matin sur ordre de nos gardiens, nous fûmes rassemblés avec les infirmiers et le médecin chef (Oberstabsartzt) à l'extérieur des baraquements. Tous les hommes valides ont été conduits chez le coiffeur avant d'être évacués dans des camps de prisonniers. Les malades et les mutilés dont je faisais partie ont été transférés sur des camions en direction de Prague. 
En fait tous les soldats allemands ont été transférés pour laisser la place à des blessés russes qui venaient occuper notre demeure. 
Un beau séjour à Vienne
Arrivé à Prague, je fus chargé dans un wagon à bestiaux à destination de Vienne où sur le quai de la gare de marchandises une vielle dame me fit signe de la suivre. Avec mon copain Alfred de Nilvange, nous avons accepté cette invitation et avons accompagné cette brave dame jusque dans sa maison où elle nous avait préparé un énorme plat de "Knötle" qui est une spécialité viennoise. Quel régal après quatre jours de diète et cette brave dame était très heureuse d'avoir rassasié deux pauvres soldats. 
Vienne, capitale de l'Autriche est une charmante ville. Nous avons été installés dans un bâtiment du "Lainzerspital" où un service nous était réservé. Cet hôpital comprenait également une unité de soins et une maison de retraite pour les personnes âgées. 
Nouvelle connaissance
En ce qui concerne la nourriture, je ne vous en donnerai pas la recette. Le pain représentait un évènement. Nous étions devenus des mendiants dans une des plus belles villes d'Europe. C'est ainsi que j'ai pu poursuivre ma convalescence en me promenant avec des béquilles dans le parc en compagnie de mon copain Alfred. C'est également dans ce parc que j'ai fait la connaissance de cette merveilleuse petite viennoise nommée Resele, aux yeux couleur d'azur comme le Danube et à la chevelure blonde comme le soleil. En quelques heures, elle était devenue notre amie. C'est elle qui nous ravitaillait pour améliorer l'ordinaire et qui chantait de belles chansons avec son violon pour nous distraire.... 
Premier contact avec des Français
Un matin, la police auxiliaire française de l'ambassade de France à Vienne est venue recenser ses ressortissants se trouvant par mis les prisonniers. La discrétion était de mise chez les Malgré nous. Etions nous encore des Français après avoir porté l'uniforme Allemand ? 
Les policiers qui manifestement connaissaient parfaitement notre situation, ont rapidement acquis notre confiance lorsque ils nous ont expliqué qu'il n'y avait rien à craindre puisque nous avions les mêmes droits que toutes les victimes de guerre. 
Enfin de nouveaux habits et la liberté
Les huit Alsaciens et Lorrains qui se trouvaient mélangés aux Allemands ont immédiatement été relogés dans un pavillon particulier. Le lendemain matin une voiture de la Croix Rouge française nous a livré des vêtements bleus afin que nous puissions quitter définitivement l'uniforme "feldgrau". Non seulement, ils nous ont fourni des habits, mais également du pain à volonté, des sardines, du chocolat, des saucissons, des cigarettes et comble du bonheur, une pièce d'identité provisoire de la police française. Jamais je n'oublierai tous ces égards. Encore merci à tous ces vaillants qui sont devenus nos amis. 
Ma petite amie fut très surprise en me voyant ainsi vêtu. Maintenant avec ma pièce d'identité, je pouvais sans crainte me promener dans cette charmante ville de Vienne. Accompagnés de Resele et de sa copine qui était devenue l'amie d'Alfred, nous avons sillonné les rues de la ville à la recherche de tous les monuments et ouvrages à visiter. 
Le soir, c'était la fête dans notre logement. Enfin nous pouvions chanter des chansons françaises tel que "vous n'aurez pas l'Alsace et la Lorraine". Nous étions libres, libres de toutes ces barbaries. Quel merveilleux sentiment... 
Ravitaillés par la Croix rouge
Les vaillants soldats Allemands dans leur baraquement voisin, nous regardaient d'un air médisant ,car ils étaient jaloux de notre liberté. 
Nous étions ravitaillés pour la journée tous les matins par la Croix Rouge. Cela a duré ainsi jusqu'au mois d'Août. 
Par une belle matinée, l'ordre est venu du médecin colonel de nous préparer rapidement. Le départ pour la "Heimat" était imminent. Enfin j'allais revoir mon pays natal. 
Adieu beau pays, adieu belle ville de Vienne, adieu ma charmante petite Resele. C'est en nous souhaitant bonne chance pour le restant de notre vie, que les larmes coulèrent à nouveau jusqu'à terre.
Retour à la maison
Les huit Alsaciens et Lorrains que nous étions, ont pris place à bord d'un véhicule de la Croix rouge qui prit la direction de Linz. Après avoir franchi le Danube, nous avons une nouvelle fois été soumis à un contrôle très sévère des soldats russes puis des Américains. Malgré quelques difficultés, tout rentra dans l'ordre et nous avons été autorisés à poursuivre notre route. 
A Linz, ville autrichienne, mais occupée par les Américains, nous avons été logés dans une caserne avec d'autres prisonniers français, principalement des déportés. La nourriture était abondante et je me souviens particulièrement de cet excellent pain de riz blanc comme de la neige. 
Trois jours plus tard, nous avons été chargés sur un camion conduit par un chauffeur noir, ivre comme une barrique. Malgré son état d'ébriété avancé, le brave chauffeur ne pouvait s'empêcher d'ingurgiter de copieuses rasades de "schnaps" tout en conduisant. 
Vu l'état du chauffeur, c'est un miracle que nous ayons pu atteindre l'aéroport de Linz sans incident. 
Enfin la France
Immédiatement nous avons été invités à prendre place à bord d'un avion qui décolla une demi-heure plus tard en direction de Lyon. Enfin la FRANCE ! 
A Lyon, trois semaines de convalescence m'ont été imposées à l'hôpital Edouard Herriot où j'ai pu reprendre des forces grâce aux excellents soins fournis par les infirmières et le personnel soignant. 
Enfin, aux alentours du 15 Septembre 1945, j'ai été autorisé à quitter cet hôpital pour rejoindre ma famille non sans avoir une nouvelle fois été soumis à un contrôle très strict à CHÂLONS-SUR-SAONE. 
Puis enfin à la maison
Quinze mois après mon départ, me voila à nouveau parmi ma famille. 
Je suis conscient que d'autre malgré-nous ont certainement vécu des situations similaires. Je me demande quel destin m'a protégé dans tout ce malheur. 
Rendre la dignité et la  liberté
Honneur à mes camarades Roger, Robert, Norbert qui sont morts pour nous rendre la dignité et la liberté, ma gratitude leur est acquise tout comme à ceux qui ont souffert pour protéger leurs parents, leurs épouses et leurs enfants. 
Plusieurs dizaines de milliers d'entre nous furent blessés, ceux qui en réchappèrent resterons estropiés pour la vie. 
Nous n'avions le choix qu'entre deux maux. Nous avons choisi de partir afin de permettre aux nôtres de rester et de leurs épargner des souffrances inutiles. En raison des menaces qui pesaient sur notre famille, nous l'avons accepté et nous l'avons payé cruellement. 
Aujourd'hui, dans de nombreux villages d'Alsace et de Lorraine, une simple plaque dont le temps et les intempéries ont souvent déjà effacé les noms, rappelle à leurs souvenirs. 
Rendre visite aux parents des amis tombés
Ce furent quarante mille qui grisèrent le long des chemins creux d'Ukraine, dans un trous d'obus du coté de Leningrad, dans la plaine de Koursk, dans les marais de Wolchow, dans les décombres de Charcof et Orel, le long des fleuves Volga, Don, Dniepr et Dniestr dans les Carpates, leurs pauvres carcasses, éparpillées du nord au sud de la Russie, broyés par les obus de la "Stalin-orgel", écrasés sous les chenilles des T 34, éventrés par les partisans, gelés au coin d'un bois ou desséchés au soleil dans un uniforme infamant, malgré eux, sans gloire et sans honneur. 
Personne jamais ne déposera une fleur où reviendra se recueillir à l'endroit où ils sont enterrés. 
Cette lettre écrite à mon ami Norbert qui me fut renvoyées avec ces mots tragiques "GEFALLEN FUR GROSSDEUTSCHLAND" ne me quitta pas jusqu'à la fin de la guerre. 
Après mon retour, lors d'une visite à Nilvange, m'incomba la mission, combien triste et déchirante d'enlever les derniers espoirs aux pauvres parents de mon ami Norbert qui espéraient toujours en son retour. 
Impossible d’oublier
Aujourd'hui encore, je continue à entretenir des relations amicales avec Jean de Colmen et Nicolas de Creutzwald qui avaient partagé avec moi une partie de cette misère. 
J'ai écrit ce texte afin que les générations futures ne connaissent plus jamais de tels maux, indignes de la race humaine et pour donner au mot PAIX une signification véritable 
Quant à moi, jamais je ne pourrai oublier... 
Aujourd'hui, le 08 Mai 1995, nous parlons de l'armistice, de la victoire dans notre pays. C'était bien sûr une victoire, mais que pensent les estropiés, les veuves de guerre et les orphelins qui sont encore de ce monde ? 
Cette victoire porte encore aujourd'hui des cicatrices qui me révoltent. Aussi faut-il sensibiliser la jeunesse à ce drame affreux. 
La bataille d'aujourd'hui n'est plus celle de 1945. C'est maintenant à nous tous de faire un effort pour mettre fin à toutes les violences, les injustices quotidiennes de ce monde sans pitié. 
Je terminerai par la lettre d'un Alsacien condamné à mort qui écrivit ces derniers mots à son épouse : 
Ainsi ma chère, je prends congé de toi pour la dernière fois sur cette terre. Pardonne moi pour ces torts que j'ai pu te faire. J'avais encore un faible espoir mais c'est fini, que dieu m'assiste. Je ne l'ai pas mérité.  
Je vais quitter aujourd'hui, le 30 Octobre 1944 cette triste terre où n'existe aucune pitié.
Je te serre encore une fois très fort sur mon cœur. 
Vive la FRANCE. 
Soyez heureux, au revoir au ciel. Ma tombe Pielgimba dans les Carpates. Je meurs pour notre cause. 
Vive l'Alsace. 
Léon SCHREIBER " Malgré Lui " 


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En 1962, je ne me promenais pas au Bitcherland, mais j’étais en Algérie avec 400 000 autres appelés pour combattre les Fellaghas et l’OAS. C’était pour le maintien de l’ordre, mais en réalité c’était une guerre qui a duré 8 ans de 1954 à 1962. Le rêve d'une "décolonisation en douceur" Pourtant  Ferhat Abbas voulait une  décolonisation en douceur".  C'est pourquoi il  publie e n 1943,  le " Manifeste du peuple algérien ", qui réclame  l’égalité entre Musulmans et Européens, une réforme agraire, la reconnaissance de la langue arabe et une "République autonome" . Puis il jette l’éponge en 1951.   " Il n’y a plus d’autres solutions que les mitraillettes" , s’attrista-t-il. " Toute sa vie, Abbas aura rêvé d’une décolonisation en douceur" ,     écrit Charles-Robert Ageron dans   Genèse de l’Algérie algérienne  . Le maintien de l'ordre se transforme en guerre  Elle a opposé l'armée française à des insurgés nationalistes al...

La riche histoire d'Eschviller contée par Auguste Lauer

Auguste Lauer , instituteur d'Eschvil ler membre fondateur de la Société d’histoire et d’archéologie de la section de Bitche, a enseigné de 1932 à 1936 à Eschviller. Il était originaire de Saint-Louis-lès-Bitche. Il était chevalier   des Palmes académiques et lauréat de l'Académie de Metz. L'école d'Eschviller avait deux salles de classe  Très intéressé par l’histoire locale, il a mené comme son collègue Paul Glad à Bousseviller, des recherches historiques sur Eschviller. Avant guerre, Auguste Lauer et son épouse, née Anne Schwartz, enseignaient dans les deux classes à Eschviller, annexe de Volmunster. Nous avons retrouvé un texte écrit en allemand très intéressant qui est une synthèse de nombreux documents connus en 1936. Il nous apprend mieux ce que les habitants d’Eschviller et de la région ont dû subir sous le joug des seigneurs, à cause des guerres et des invasions. Nous l’avons traduit en français pour vous faciliter la lecture. L...