Louis Rochon, originaire de Sainte-Croix (Ain), vient en 1919 à Hayange pour être embauché chez de Wendel et épouse une Lorraine pour fonder une famille. Il habite à Hayange, mais sera expulsé avec sa famille en juillet 1940, car il est un Français de l’intérieur.
C’est à Rochefort que nous avons rencontré Roger Rochon, secrétaire général de mairie honoraire. Il a terminé sa carrière à Saint-Jean-d’Angély et passe sa retraite à Rochefort-sur-Mer (Charente Maritime). Il a été expulsé le 20 juillet 1940, car son père Louis, né 1er septembre 1891 à Sainte-Croix (Ain) n’étant pas Mosellan d’origine, a dû se plier à l’avis publié par la mairie de Hayange.
Cet épisode douloureux, il en est encore traumatisé. Le lendemain du récit d’expulsion, il nous a rapporté les documents d’époque: l’avis du maire, le laissez-passer et même le fameux acte de réintégration établi après le traité de Versailles du 28 juin 1919 pour les Mosellans d’origine. Cet acte a été réclamé à tous ceux qui voulaient avoir une carte d’identité ou un acte de nationalité française. Par contre, pour être mobilisé ou faire son service militaire ce n’était pas indispensable.
Premiers expulsés
- Nous étions les premiers Mosellans à être expulsés, à Lyon, j’ai ensuite appris l’expulsion de l’évêque Mgr Joseph-Jean Heintz à Lyon, puis des prêtres, et en novembre 1940 de nombreux habitants francophones du Saulnois et de la région messine.
Sur l’avis signé par le maire de Hayange Georges Mohnen, il était écrit: “Tous les Français de l’Intérieur, tous les Juifs, tous les Nord-Africains comme tous les assistés, sont invités à quitter sans délai le département de la Moselle et à se diriger vers la France. Il leur est permis de se munir d’un bagage à main et d’une somme de 400 F. A partir du 20 juillet, à minuit le bagage en question sera limité à 10 kg. Le contrôle sera exercé à l’ancienne frontière existant de 1870 à 1918.” Signé le maire Georges Mohnen avec le cachet de la mairie de Hayange.
La peur s’installe
- Dès que cet avis était connu, ceux qui étaient concernés ont eu peur. Ils ne sortaient dans la rue qu’en cas de nécessité. Ils s’enfermaient dans leur appartement. Nous avions tous très peur.
Lors de l’expulsion, Roger Rochon avait 14 ans, son père Louis Rochon était un ancien combattant de la guerre 1914-1918. Après le service militaire de trois ans, il avait été mobilisé durant toute la première guerre mondiale. C’est après la guerre, qu’il vint à Hayange, redevenue française, où il fut embauché chez De Wendel en tant que contremaître, c’est là qu’il apprit à connaître son épouse Léonie Deny, d’origine lorraine. En mai 1940, il fut mobilisé, mais après la défaite française, il fut aussitôt renvoyé dans ses foyers. Il est heureux de retrouver sa famille.
- Savez-vous que j’avais une sacrée chance, car tous les soldats français faits prisonniers ont été dirigés vers l’Allemagne. Ils ont été cantonnés dans des Stalags.
Avec toutes les mauvaises rumeurs qui courent, il reste chez lui derrière les volets baissés, car en tant que français de l’Intérieur, il était considéré comme espion.
- Mes sœurs et moi étions tous nés à Hayange, ma mère était Mosellane, mais parce que mon père était né dans l’Ain, il était persona non grata.
Roger avait deux sœurs Marthe, née en 1919 et Yvette en 1925.
C’est l’expulsion
- Quand mon père apprit qu’il sera expulsé, il alla trouver le maire afin qu’il lui fournisse un camion pour effectuer le déménagement.
- Ce n’est pas mon affaire, lui répondit, le maire, c’est à vous de vous débrouiller. N’oubliez pas de passer à la “Ortskommandatur” de Hayange afin qu’il vous délivre un laissez-passer.
Le père en resta bouche bée et devint tout blême, il ne comprenait pas que le maire un instituteur, fonctionnaire de l’Etat français puisse lui répondre de cette façon. Il se résigna et alla ensuite à la "Ortskommandatur” pour avoir le laissez-passer.
- Bonjour Monsieur, j’aimerais avoir un laissez-passer, car je suis expulsé avec ma famille
- Heil Hitler. Où voulez-vous vous rendre?
- A Sainte-Croix, dans l’Ain, où habite ma famille
- Nous allons immédiatement vous en établir un.
Il demanda tous les renseignements à mon père pour rédiger le laissez-passer, le signa et le lui tendit .
- Vous avez intérêt à avoir passé la frontière demain avant minuit. Heil Hitler.
- Adieu
Il rentra à la maison, muni de son sésame établi en allemand, et en parla à tout le monde. La première réaction, tout le monde se mit à pleurer à chaudes larmes.
Sans défense
Soudain mon père dit avec beaucoup de calme:
- Si le maire signe un tel avis et avec la façon dont il m’a reçu, il fait sûrement partie de la cinquième colonne. C’est malheureux qu’un instituteur, fonctionnaire de l’Etat français se rabaisse à ce point. Enfin, nous ne nous pouvons rien contre lui ni contre les nazis. Nous avons intérêt à nous y plier. Nous allons faire nos bagages et en emmener l’essentiel: des habits, des provisions, les documents, les photos et les objets précieux. Nous allons rejoindre Briey en Meurthe-et-Moselle. Nous arriverons bien à faire 15 km à pied.
- Tout le monde s’y mit, chacun prit dans sa chambre ce qui lui tenait le plus à coeur, et mes parents s’occupèrent du reste.
Le départ pour Sainte-Croix
Le lendemain, nous sommes partis en tirant à tour de rôle la charrette. Ce ne fut pas facile de monter la côte de Neufchef. Un couple de Sérémange M. et Mme Bellaz ont fait route avec nous. M. Bellaz travaillait également chez De Wendel.
Quand Roger Rochon raconte ce triste épisode, il est très ému. Il ne comprend toujours pas qu’un instituteur français puisse expulser des Français.
Arrivés à Briey, nos Lorrains se dirigent vers la Sous-Préfecture, et le père va voir le Sous-Préfet auquel il exposa la situation.
- Monsieur le Sous-Préfet, nous sommes expulsés de la Moselle, car je suis né dans l’Ain. Tous les Français de l’Intérieur doivent quitter la Moselle avant le 24 juillet à minuit.
- J’ai été mis au courant, cela se passe de la même façon en Alsace. Nous allons nous occuper de vous.
Ce représentant de l'Etat fut très aimable envers ces Mosellans expulsés sans raison et leur attribue deux logements meublés.
Nos deux familles restent pour l’instant à Briey. Louis Rochon, retourne à Hayange à bicyclette pour chercher du ravitaillement, fait une chute dans la côte de Neufchef et il est hospitalisé plusieurs jours à Hayange.
Après son retour, la famille Rochon décide de rejoindre en train Sainte-Croix. A Nancy, elle est hébergée dans un couvent près de la Place Stanislas. L'accueil est très cordial. La famille continue son voyage et à Charolles, elle est accueillie par une châtelaine, où elle reste quelques jours.
Arrivée à Sainte-Croix
Enfin la famille rejoint sa famille à Sainte-Croix, un petit village de l’Ain, situé au Nord-Est de Lyon.
- A Lyon, mon père va trouver le directeur d’une fabrique d’épaulettes où travaillait mon oncle Benoît.
- Monsieur le Directeur, je suis le neveu de Benoît, je travaillais comme chef d’équipe chez de Wendel à Hayange en Moselle.
Un Français de l’Intérieur ?
- Les nazis m’ont expulsé le 20 juillet 1940, car j’étais un Français de l’intérieur. J’ai trois enfants et j’habite à Sainte-Croix.
- Un Français de l’Intérieur?
- Oui. Par le traité de Francfort du 10 mai 1871, l’Alsace et la Moselle étaient annexées. Les Alsaciens et les Mosellans d’origine étaient alors les Français de l’extérieur, et ceux des départements restés français ont été appelés par les Alsaciens et les Mosellans, les Français de l’intérieur. C’est surtout cette dernière expression qu’on emploie encore maintenant en Alsace et en Moselle.
Comme je suis né dans l’Ain, je suis un Français de l’Intérieur.
- Eh bien, c’est bien triste ce qui vous arrive. je vous embauche de suite.
Il lui raconte alors son aventure du départ de Hayange en charrette et tout le voyage en train pour arriver dans l’Ain.
La famille s’agrandit
Joseph Fizaine, instituteur mosellan, fiancé de ma sœur Marthe nous rejoint et l’épouse. Il reprend du service en 1941 et devient secrétaire de mairie- instituteur à Pizai, un village de 300 habitants. C’était la commune limitrophe de Sainte Croix. Son maire est directeur des Assurances La Providence à Lyon.
- Grâce aux cousins de mon père qui avait une ferme à Sainte-Croix, nous ne manquions pas de nourriture durant toute la guerre. C’était notre seule consolation.
Comme Roger avait commencé à faire des études secondaires au cours complémentaire de Hayange en Moselle, son père l’inscrit au collège, tenu par les Frères de Saint-Louis-de-Gonzague où il a pu passer et réussir le brevet élémentaire.
Ségolène de Wendel s’était réfugiée à Lyon -Bellecourt où, elle crée l’Union Lorraine. Elle est aidée par les Filles de la Charité de Saint-Vincent-de-Paul. Elle était assistée de Mme Bosson et M. Dupont.
Après mon brevet, je travaille chez les de Wendel avec Victor Lançon, ingénieur. De plus, j’aidais à travailler à la mairie avec mon beau-frère.
Débarquement et espoir
Quand les Mosellans réfugiés dans la région de Lyon apprennent le débarquement du 6 juin 1944 en Normandie et celui du 15 août 1944 en Provence, les Mosellans reprennent espoir.
- A la demande de Ségolène de Wendel, je rejoins Hayange pour travailler y travailler à la mairie dès fin 1944. Je loge chez ma tante Anne Litzenbrenner à Hayange.
C’est le Docteur Léon Wonner fait fonction de maire. Il a été nommé par le préfet de la Moselle président de la “commission municipale” après la libération de la ville par les troupes américaines en septembre 1944.
- Mes parents reviennent à Hayange le 26 septembre 1945 et mon père retrouve aussitôt son poste chez de Wendel.
Propos recueillis par Joseph Antoine Sprunck le 17 mars 2010 à Rochefort.