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Le Bitcherland dans la tourmente de 1939 à 1945


« Souvenons-nous des tribulations des Lorrains de nos villages du Pays de Bitche.
Evacués une première fois en septembre 1939 par les Français, ils reviennent de Charente ou d’ailleurs et, se voient à nouveau chassés de chez eux  par les Allemands qui devaient choisir leurs maisons comme cible d’un Truppenübungsplatz. »

Marcel Pierron

Lors de la première guerre mondiale, la population civile du Bitcherland, n’a pas eu à souffrir des affres de la guerre. Par contre, pendant la seconde, ce fut un vrai cauchemar pour la plupart des  familles. Pour éviter les victimes civiles comme en 1914/1918, l’évacuation est prévue  depuis le 11 février 1922, mais il fallait la garder secrète. « Tous les préparatifs sont notés dans les plus  petits détails, mais alors, qui donc est responsable de la pagaille qui s’installa le 3 septembre 1939 » s’étonne Marcel Pierron.

Tout d’abord, la plupart des  Bitcherlandais ont été évacués en septembre 1939, puis certains seront expulsés, expropriés et spoliés en 1940, réfugiés en 1944 et sinistrés en 1945. Ce fut une dure épreuve pour ces habitants. Mais après la victoire des alliés le 8 mai 1945, la plupart reviendront entre 1945 et 1947, mais  beaucoup habiteront durant 8 à 10 ans dans des baraquements. Toute cette période de guerre fut une très rude épreuve pour cette population frontalière.     

Mobilisation

Le 22 août 1939, plusieurs classes d’âge sont  mobilisées, et le 26 août les autres classes mobilisables ont été appelées sous les drapeaux. En somme,  furent mobilisés  les hommes de la classe 1909 à 1939.  Les classes 1909, 1910 et 1911 ont été libérées très tôt, bien qu'on y ait fait appel lors de la mobilisation générale. Les agriculteurs des classes 1912 à 1915 et les autres personnels des classes 1914 et 1915 ont été  également libérés pour se consacrer aux besoins de l'économie. Toutefois, toutes les familles ont été en émoi, car les hommes jeunes et valides, c’est à dire les pères de  famille les ont quittées pour une période indéterminée. Reviendront-ils?  

Les annexions

Après l’annexion de l’Autriche et le pays des Sudètes en Bohème, de la Tchécoslovaquie, l’éventualité d’une nouvelle guerre mondiale a dû être prise en considération. L’invasion de la Pologne le 1er septembre  1939 a déclenché le processus de la guerre. Alors que la mobilisation a déjà commencé le 23 août 1939, la guerre n'a été déclarée par la France que le 3 septembre 1939. 

Les instructions pour l’évacuation

Le 26 août 1939, un service d’accueil des réfugiés mosellans est ouvert en gare d’Angoulême
Le 1er septembre 1939 à 13 h 39, un télégramme adressé à tous les Préfets des régions concernées par l’évacuation et l’accueil des réfugiés, annonce le déclenchement de l’évacuation: « J’ai l’honneur de vous informer que déclenchement, évacuation, zone avant Moselle, Bas-Rhin, Haut-Rhin. Prenez dispositions nécessaires sans délai. Indre et Landes doivent prendre dispositions pour recueillir ultérieurement trop plein ainsi qu’il est prévu par télégramme 21 août dernier. »
A 13 h 50, un nouveau télégramme est adressé aux préfets: « Partout, priorité hébergement doit être assuré à la population évacuée sur réfugiés espagnols qui devront être resserrés et au besoin déplacés dans un autre  cadre département dans toute mesure utile, opération doit être conduite avec doigté, mais sans hésitation possible si elle s’avère nécessaire »
L’évacuation de septembre de la population frontière concerne  la zone rouge située entre la ligne Maginot et la frontière. L’Etat a voulu  éviter la mort des civils dans cette zone. Alors que les villes ont été évacuées par des trains, la population de nos villages a commencé son évacuation avec les chariots attelés de chevaux ou de vaches.

L’évacuation

Depuis le départ des réservistes, la population restante, comprenant les femmes, les enfants  et les hommes âgés, doit rentrer le reste de la moisson et le regain. Depuis le départ des chefs de famille, les femmes dorment mal, tout le monde est inquiet. 
Le dimanche 27 août, une réunion du conseil municipal  s’est tenue en mairie de Volmunster sous la présidence du sous-préfet et du maire Achille Taglang. Le sous-préfet annonce  que l’évacuation est imminente. 
Le 1er septembre en début d’après midi, les maires sont  informés du départ. L’appariteur sonne le tocsin et informe la population  qu’il faut plier bagages. Les archives, particulièrement les registres d'état civil, le registre de réintégration,  les plans cadastraux, le registre domiciliaire. Le buste d'Emile Gentil est déboulonné et sera également emmené en Charente.

Le départ dans l’inconnu




Télégramme annonçant l'arrivée des réfugiés à Angoulème


Les Bitcherlandais font partie des 302 700 Mosellans qui doivent quitter leur maison, leurs terres, leur bétail, leur village pour partir dans l’inconnu  avec 30 kg de bagages par personne. Certains remplissent les taies d’oreillers  et des sacs avec des habits, d’autres cachent des affaires qui ne peuvent être emmenées. Presque tout le monde savait que la population de la zone frontalière, la zone rouge  située entre la frontière et la ligne Maginot était concernée par l’évacuation. Certaines familles ont mis en sécurité des personnes malades ou impotentes dans des familles domiciliées dans l’arrière-pays. D’après les bruits qui courent, la guerre sera courte. Certains n’emmènent même pas les objets de valeur ou les habits neufs, ni les habits d’hiver. 



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Sur la route de l'exode

Chaque famille charge l’indispensable sur  son chariot. Les lapins, les poules, les cochons, les chats, les chiens… sont restés en liberté  au village. Le grand bétail est regroupé et suit la caravane sous la garde des jeunes garçons.




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 On aide à pousser la charrette dans les côtes


L’exode

 Pour la plupart des villages de la zone rouge, le départ a été fixé à 16 h. Ceux de la vallée de la Horn ont eu  le premier arrêt à Lemberg et  ont rejoint le centre de recueil à Vilsberg près de Phalsbourg. Ils ont pris  le train à Lutzelbourg et  ont eu droit à un train voyageurs dont les vitres étaient teintes en bleu. Ceux d’Ormersviller et de Volmunster auront leur premier arrêt avant Lorentzen.
Les premiers ont dû se rendre à Diane Capelle et ont  pris le train à Héming le  samedi 9 septembre à 15 h et  ils sont arrivés en gare de Jarnac le lundi 11 à 1 h du matin  et à 6 h à Sigogne.
Plusieurs familles qui avaient prévu et qui avaient la possibilité de se rendre dans des villages non  concernées par l’évacuation ont rejoint leur famille d’accueil. D’autres ont fait des réservations de location dans la région de Sarrebourg.
Les seconds ont dû se rendre à Rhodes et le mardi 5 septembre 1939, ils prennent le train à 14 h à Azoudange.



Photo DR


Les évacués, installés dans le wagon à bestiaux, attendent le départ du train : Mme Perrin, Laurent Bath et Emile Schwab

pour partir où? Personne ne le sait. Le bétail est vendu à l’Etat contre récépissé. Les uns comme les autres voyageront dans des wagons à bestiaux.  Les habitants des villes ont voyagé dans des trains voyageurs.

L’angoisse des évacués

Dans ces wagons à bestiaux, prévus pour 9 chevaux ou trente hommes, sans confort et sans toilettes, nos évacués ne parlent pas beaucoup. 
Sur les visages des personnes âgées se devinent l’angoisse et les soucis qui les rongent. Certaines doivent être assistées à tout moment, ne pouvant accomplir seules les gestes élémentaires de la vie. Plus d’une maman s’interroge: 
« Où trouver la nourriture pour la famille, le lait pour le biberon de bébé? Où est mon mari mobilisé qui est absent. Dans une situation pareille c’est l’homme qui assure la sécurité de la famille

Un interminable voyage  

Le mardi 5 septembre à 14 h, les  1400  habitants de Bliesbruck, Erching-Guiderkirch, Obergailbach et Ormersviller ont pris ensemble le train à Azoudange. Il a pris la direction du sud-ouest en passant par Bourges.  Le voyage a été interminable pour différentes raisons:
  • personne ne connaît la destination
  • les longs arrêts en rase campagne
  • on ne voit pas dehors
  • l’angoisse de l’inconnu
  • la promiscuité et l’inconfort dans les wagons à bestiaux
  • le ravitaillement en eau et en lait pour les biberons laissait  souvent à désirer, car en gare on ignorait parfois  la provenance des trains et leur destination.
  • Les conditions de voyage ont été réellement difficiles pour tous. Chacun a essayé  de trouver le meilleur confort avec la paille distribuée. Les évacués sont alors, tels des chargements qui sont déchargés  dans les différentes stations de chemin de fer. Lorsqu’une partie de la « marchandise » est livrée le voyage continue  pour les derniers. Hélas la « livraison » est une livraison d’hommes, de femmes et d’enfants arrachés à leur maison natale. 

L’exil

Arrivés en Charente, les réfugiés sont épuisés par le voyage. Pour les hôtes, ils n’ont pas toujours été les bienvenus.  D’ailleurs beaucoup ont donné du fil retordre aux maires charentais pour leur trouver un abri. Souvent, les réfugiés ont cherché une maison vide.
Ce voyage a été fatal pour plusieurs enfants en bas âge  et les vieillards. On imagine  la peine des évacués qui n’ont pas pu soigner correctement leur enfant malade ou une grand-mère  souffrante. Ils ont eu beaucoup de mal à comprendre ce qu’ils leur est arrivé.
En huit jours, ils ont perdu leur village, leur maison, leurs biens, leur pays natal. De plus,  ils sont  attendus nulle part, et surtout ils sont envoyés dans une région où on ne comprend pas leur langue. En fait, ils ont vécu toute la signification du mot  « exil ».

Différents accueils

Alors que  les Volmunstérois sont arrivés à 1 h du matin et à 6 heures, ils sont accueillis le 11 septembre  à Sigogne.
Pour les réfugiés d’Ormersviller et d’Obergailbach, il n’en est pas de même. Ils ont seulement  eu un logement à leur disposition  le 17 septembre.
Le mardi 5 septembre à 14 h, les réfugiés d'Ormersviller prennent le train à Azoudange (Moselle), ils débarquent  à Chazelles (Charente) le 8, les familles, sont réparties dans différentes fermes et dans un moulin où  50 personnes sont abritées. Après trois jours, ils ont repris  le train et sont logés au Château de La Rochefoucauld.  Tout le monde y passe encore six jours dans les dépendances du château.


Puis   les paysans de Brie viennent seulement les chercher le 17 avec les tombereaux. Les réfugiés sont répartis dans les différents hameaux de Brie. En 1939, Brie a compté 1 000  habitants et a accueilli environ 500 réfugiés d’Ormersviller et 364 d’Obergailbach.


Les églises se remplissent

En 1940, les réfugiés à Brie ont été plus nombreux (1 100) que les autochtones, car l’avancée des troupes allemandes a fait fuir des Belges, des Ardennais et même des Parisiens qui ont cherché   refuge à Brie. Le village est composé d’un bourg central entouré de 41 hameaux répartis sur 35 km. 



Joseph Sprunck  visite  Brie en 2018. Il est entouré de Robert Andrès, dont le père a épousé une Charentaise et de Jean-Pierre Guillou, adjoint au maire, devant la maison où la famille Antoine Sprunck a logé à Brie.


 « Je me rappelle avoir fréquenté l’école avec les enfants d’Ormersviller et que ce sont souvent les adolescents qui servaient d’interprète entre les Charentais et les réfugiés » nous rapporte Simone Couprie
Votre curé  Jean-Pierre Karp  remplissait l’église tous les dimanches. Jamais on  avait vu autant de monde dans cette église. On allait à sa messe, même si on ne comprenait pas grand-chose, à cause de la langue ”ajoute-t-elle.  
Victor Suck remarque que les prêtres du midi prêchent différemment que ceux de Lorraine. « Dans le midi, les prêtres parlent surtout de l’amour du prochain, alors qu’en Moselle, ils  parlent surtout du séjour en   enfer pour ceux qui ne respectent pas les dix commandements de Dieu et ceux de l’église. Quand on regarde une belle fille, c’est déjà un péché.» a-t-il rapporté en riant.

La vie en Charente

Le contact n’a pas été facile, car il y a un problème de langue. La plupart des réfugiés de plus de 30 ans ne parlent que le dialecte ou l’allemand, la langue de l’ennemi. C’est pourquoi   beaucoup de Charentais ont mis beaucoup de temps pour comprendre cette situation. Effectivement de 1871, date de l’annexion  au 11 novembre 1918, les Mosellans ont fréquenté uniquement l’école allemande.  Les plus jeunes qui ont fréquenté l’école française après l’armistice du 11 novembre 1918 parlaient  et écrivaient correctement le français.  

Le cadre de vie en Charente

Cette évacuation a non seulement été un exil, mais un véritable déracinement qui a été particulièrement mal vécu par les  adultes, alors que pour les jeunes  cela a été une aventure. De plus, le mari est souvent mobilisé, la maman s’est retrouvée souvent seule avec  plusieurs enfants. Les réfugiés sont  déçus par les possibilités d’hébergement insuffisantes en nombre et médiocres en qualité. En Moselle, dans toutes les maisons, on trouvait une cuisinière à bois et à charbon. Par contre   en Charente cela a été le chaudron dans  l’âtre de la  cheminée où les repas ont été préparés. C’est pourquoi, beaucoup ont  acheté le poêle  charentais

Photo de Marcelle Obringer

 (le Charenter Evel) qui a servi pour chauffer la lessive. L’Etat  en a distribué  800. De plus, dans certains villages, on ne connaissait pas la cabane dans le jardin qui servait de toilette sèche en Lorraine. Avec le temps, le gouvernement, les autorités départementales et locales et les œuvres de bienfaisance ont réussi  à améliorer tant soit peu les conditions d'hygiène et de confort des évacués, soit en faisant réparer les immeubles, soit en fournissant des lits et des poêles de tranchée, soit en donnant les allocations de réfugiés. Jusqu'à la mi-novembre l'armée a dirigé sur la Vienne 300 wagons de literie et de mobilier, récupérés dans la zone rouge des arrondissements de Boulay et de Thionville. Des vivres furent récupérés dans les épiceries de Sarreguemines, Forbach et Saint-Avold. Ces améliorations furent faites surtout grâce à Robert Schuman, député de la Moselle et sous-secrétaire d’Etat. A partir du 5 novembre 1939, le vice-président du Conseil des Ministres Camille Chautemps et Robert Schuman ont demandé  à la radio française des émissions d'information en langue allemande.

Les difficultés linguistiques

Les évacués mosellans ont continué à parler le platt. Mais voilà qu’ils ont été évacués  dans des régions si éloignées de la frontière et dont les populations ne parlaient que le français. Il leur était difficile de comprendre que les Mosellans de plus de 20 ans et frontaliers des Allemands, n'avaient pas appris le français à l'école primaire. De plus, beaucoup de noms des évacués et  des communes de Moselle avaient une consonance germanique.  Ils étaient aussi étonnés que le Concordat, la loi Falloux et les lois locales avaient été conservés après  le traité de Versailles et que cette administration particulière fut même maintenue en temps de guerre. Des incidents et malentendus sont parfois survenus dans les départements d'accueil entre les évacués  et leurs hôtes, qui les traitèrent parfois de boches.

Vie scolaire

Le 5 septembre 1939, un décret est publié: « Le régime spécial des cultes, de l’instruction publique, des assurances sociales en vigueur dans les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle est applicable, pendant la période  de leur repliement, aux populations de ces départements évacués d’office sur l’ordre des autorités publique dans les départements  de correspondance.
Par application notamment de l’article 15 de la loi du 15 mars 1850, le régime de l’école  primaire sera interconfessionnel
 »
Les instituteurs non mobilisés, les institutrices et les religieuses institutrices ont accompagné la population  en Charente. La rentrée des classes des enfants réfugiés est fixé au  lundi 2 octobre 1939. Les locaux seront distincts de ceux des écoles charentaises. Tous les enseignants réfugiés auront leur notification de leur affectation. Partout où cela a été possible, ils ont été chargés des classes de réfugiés.                                                                                                                                                     Rapports humains

Ne pouvant pas bien communiquer avec leurs hôtes,   beaucoup de disputes ont éclaté par manque de dialogue, dues à l’incompréhension des langues. Il arrive que les enfants des évacués se font traiter de « sale boche » ou de petit « réfugiat ». Il faut l’intervention du gouvernement  français, le 17 septembre 1939 pour mettre les choses au point. Il rappelle  que les Alsaciens-Lorrains sont des dialectophones et font partie  de la communauté nationale. Les Charentais sont méfiants de ces gens qui parlent la langue de l’ennemi. C’est pour cette raison que   le prix du lait est supérieur pour les réfugiés à celui des Charentais chez certains paysans. Ils  ne seront convaincus de la nationalité des évacués que le jour  où les permissionnaires mosellans sont venus dans la tenue militaire française.

Nouvelle vie

Ainsi chaque évacué est contraint de commencer une nouvelle vie, avec un nouvel entourage inconnu, aux coutumes différentes. Dans la deuxième moitié de septembre, le gouvernement a décidé  de verser des allocations journalières en argent, s'élevant à 10 F pour les adultes de plus de 13 ans et de 6 F par enfant, pour que les évacués puissent s'entretenir eux-mêmes en attendant de trouver du travail. L'allocation ne fut supprimée que si le salaire dépassait le montant majoré de 25 %. Cette allocation ne leur a permis  que de vivre strictement, il faut déjà 8,50 F  par personne par jour pour la nourriture. Au début, ce qui  a rendu le réfugié mal à l’aise, c’est l’oisiveté dans laquelle il s’est retrouvé malgré lui. Habitué au dur labeur, il ne pourra s’empêcher de chercher du travail, ne serait-ce pour remplir, comme il se doit, le rôle de chef de famille qui subvient au besoin de ses enfants. 



Des réfugiés  et des Charentais posant des canalisations d'eau de g à d: Rémy Sprunck, Antoine Andrès, un Charentais, Gustave Vogel, Victor Klein, un Charentais.

L’intégration dans le monde du travail s’est fait assez rapidement dans cette contrée vinicole, car le Bitcherlandais est travailleur, ne reculant devant aucune tâche. Très vite des hommes et des femmes ont trouvé une occupation dans les fermes. Mais à partir de mois de novembre, beaucoup sont allés travailler   à Ruelle. Ils y ont posé la canalisation d’eau courante, d’autres sont embauchés dans les 





« Fonderies nationales de la  Marine »   de Ruelle.

Le retour des évacués

L'article 16 de la convention d’armistice, signée le 22 juin 1940 à Rethondes impose au gouvernement Pétain de procéder au « rapatriement de la population dans les territoires occupés ». Les Mosellans que l'exode n'avait pas trop éloignés sont revenus les premiers. Le 2 juillet arrivent les premiers trains d'évacués de la zone frontière et les derniers en novembre 1940. Comme la guerre n’est pas terminée, chacun s’est posé la question, quelle est la meilleure solution, rester jusqu’à la fin de la guerre ou rentrer. Dans l’ensemble, ceux de Charente ont décidé de rentrer au Bitcherland. Beaucoup de familles qui avaient des garçons mobilisables préféraient rester en Charente. Certains ne sachant par parler le français ou  étant très mal logés préféraient rentrer.   Beaucoup de familles lorraines et charentaises vont sympathiser et  continueront à s’écrire voire se rendre visite. De nombreuses   communes signeront des chartes  de jumelage. Beaucoup de larmes couleront lors de ces séparations ou des rencontres. 

Les restés

Une vingtaine de familles  de Volmunster ont préféré rester en Charente avec le curé Humbert:
Eugène Seiwert, Charles Seibert, Louise Meyer, Pierre Hasselwander, François Schaff, Antoine Schaff, Jean Schaff, Clément Poetz, Nicolas Bahl, Pierre Roth, Joseph Laporte, Jean Heckel, Jean-Pierre Stauder, Madeleine Schneider Ernest Weltzer  et des personnes célibataires: Madeleine Seibert, Catherine Burholtzer, Anne et Marie Dorkel, Anne Seiwert.
A Ormersviller une seule famille et à Walschbronn environ cinq sont restées. La famille d’Emile Burgun n’est pas rentrée.  «  Tous mes camarades ont été incorporés de force par les Allemands.   rapporte Emile Burgun. Ils sont tous  tombés en Russie. » 
Pour pouvoir rester, il fallait que les adultes aient un travail rémunéré. Chaque mois, le chef de famille a dû se présenter à la Kommandatur. Ce ne sera qu’en avril et mai 1946 que l’Etat affrètera des trains pour le retour des évacués.
Fin novembre 1940, les Allemands ont constaté le retour de 183 041 Mosellans et  ont conclu à l'absence de 119 691   qui ont préféré rester en France.  Quand ils ont pris le train du retour, personne ne savait ce qui les attendait.

 La surprise  

Tous les trains du retour sont passés par à Saint-Dizier où les papiers d’identité ont été contrôlés. Les Allemands  ont pour chaque commune une liste de familles qui sont indésirables. Sont refoulés tous les adultes étrangers, français de l’intérieur, israélites et   indésirables connus pour leurs sentiments antigermaniques.
Parmi ces Mosellans, plus ou moins rapatriés de force sans que Pétain ait vraiment cherché à les retenir, 23 953 auraient été refoulés à Saint Dizier par les Nazis par la commission de tri de Saint-Dizier. Etaient également refoulés ceux qui ont refusé de signer pour entrer dans la « Deutsche Volkgemeinschaft » Les réfugiés sont très déçus à leur arrivée  au village,  car la plupart des maisons ont été vidés. Certains ont retrouvé des poêles ou  d’autres meubles dans les champs.

L’expulsion

Comme certains sont  affectés  que provisoirement, ils  se font transporter dans leur village et commencent à réparer les toits des maisons et s’installer. D'autres se font embaucher en Sarre  dans la reconstruction. Hélas en novembre 1940, les autorités militaires contre l’avis du Gauleiter Josef Burkel, agrandissent le camp de Bitche et le transforment en « Truppenübungspltatz ». Cela concerne les habitants  de 13 communes du canton de Volmunster (n’étaient pas concernées: Erching,  Rimling et Obergailbach) ainsi que Hanviller, Haspelschiedt, Liederschiedt, Schorbach et Roppeviller. Les 9 500 habitants de ces communes sont ainsi spoliés et expulsés. Les autorités militaires sont venues les chercher et les ont transportés dans les communes du Saulnois et de la  région messine.
A la même période les  Allemands ont expulsé 57 655 francophones dans la zone rurale des arrondissements Château-Salins, de Boulay et de Sarrebourg et sont remplacés par des Allemands ou des Bitcherlandais. Cette expulsion a commencé le 11 et s’est terminée le 21 novembre 1940. Ces expulsions ont été réalisées avec une totale inhumanité. Chaque expulsé a eu le droit d’emmener 50 kg d’effets et 2 000 F suite au plan mis au point le 7 août 1940 par Joseph Burckel, chef de l’administration civile de la Moselle. La majorité a été accueillie dans la région de Lyon.



 Après l'expulsion les communes expulsées n'existent plus pour l'administration allemande. Tous les villages sont rattachés à la ville de Bitche
C'est un vrai nomands land.

Pillage des villages

Tout le matériel agricole trouvé dans les exploitations, les bancs d'église, les meubles sont envoyés en Allemagne par la gare de Brenschelbach qui fonctionne jusqu'au 15 mars 1945. Les cloches ainsi que  les machines des forges, des moulins et des ateliers sont également envoyés en Allemagne. Des habitants du Bitcherland venaient chercher du foin dans les fermes abandonnées et profitaient pour se servir en machines, en meubles...

Une ferme d'Etat à Ormersviller

Au printemps 1941, les Allemands décident d'exploiter les terres à Ormersviller, vu que la localité est située au nord du grand camp militaire. Les terres sont bonnes, la main d'oeuvre avec 50 prisonniers russes est gratuite. Le gérant,  Oberbauerführer a habité  dans la maison Albert Vogel, en face du stade municipal actuel. Après deux gérants incompétents, ce sera un Alsacien au nom de Peiffer qui gérera correctement cette ferme qui aura la charge de cultiver tout le ban. Trois familles  originaires d'Ormersviller et Epping ont encadré les prisonniers dans les travaux agricoles. Chaque famille doit payer un loyer, même Georges Vogel qui a habité sa propre maison. 



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La dame à lunettes est née à Selven  d'une mère ukrainienne. Elle revient au  village de sa naissance. Gustave Vogel en chemise bleue habitait Selven durant la guerre.

Plusieurs familles polonaises et ukrainiennes  habiteront dans les maisons Gaspard et Andrès. Alors que les civils habitent Selven, les prisonniers et les gardiens occupent les deux écoles. 





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La moisson en août 1942 sur le ban d'Ormersviller cultivé par la ferme d'Etat. A  deux moissonneuses sont attelés quatre chevaux et à une un tracteur.

La ferme travaille avec 30 chevaux, 2 paires de boeufs et 4 tracteurs Lanz. Le lait des 25 vaches est livré à Brenschelbach. On cultive des céréales, du colza, du chanvre, du pavot, du lin, du pissenlit, des haricots, des choux et de la menthe. 





Les Siedler

En même temps, les militaires sont venus expulser les  habitants des  18 communes du Bitcherland revenus dans leur village alors que certains  étaient restés dans le pays de Sarrebourg. Ils sont repartis avec les valises. 




Sur la fiche domiciliaire, fournie par la Bauersiedlung Westmark  en 1986, on constate Yvonne est inscrite  sous le prénom de Jérôme, ce qui donne en allemand Hieronomus.


Les Allemands  vont les installer dans les maisons libérées du Saulnois et de la région messine. Ils seront des Siedler, des employés de l’Etat allemand. Chaque Siedler devra tenir une comptabilité  et un inventaire rigoureux pour les récoltes, la production de lait et le bétail. Il faut avoir l’autorisation pour tuer un cochon. Celui qui se fait prendre est condamné à 18 mois de prison. 652 familles deviennent  malgré elles des colons « allemands ». A eux, s’ajoutent 997 familles roumaines du Banat et 2 500 familles allemandes.

Une main d'oeuvre est prise en Ukraine, en Russie et en Pologne. De plus il y avait des prisonniers russes et serbes . qui aident les Siedler. Les engrais sont fournis  gratuitement. Tous les Siedler doivent payer un loyer. 



Joseph Sprunck a 4 ans à Manhoué  



Les Malgré-nous




René Sprunck, incorporé de force à l'âge de 17 ans par les Allemands ne rentre que 3 octobre 1945.

Le service militaire  sera imposé aux Mosellans. Sont concernées les classes 1914 et suivantes. Certains ont été mobilisés dans l’armée française en 1939, et seront  mobilisés à partir du  5 décembre 1942. Beaucoup s’évaderont, d’autres  se cacheront. Certains seront prisonniers  des soviétiques au camp de Tambov, et d’autres des Américains et des Anglais. Les déserteurs mosellans de l’armée allemande  seront envoyés par les Américains. dans des camps de prisonniers allemands à Cherbourg, Marseille et La Flèche.

La cohabitation 

Au départ des Allemands et le retour des  propriétaires expulsés  a créé  des tensions et des rancoeurs avec les Bitcherlandais  qui occupaient  les maisons. Souvent la cohabitation dura  jusqu’au printemps 1946,  car il fallait attendre que les baraquements soient construits. Dans certains villages plus de 70 % des maisons étaient en ruines.
Ces expulsés du Bitcherland, appelés communément « les Bitchois » par les habitants du Saulnois, ont été assimilés à des Allemands et ont vécu en tant que tel. Ils sont tiraillés entre le sentiment patriotique français qui les empêche de renier la Mère Patrie et l’obligation de se soumettre à la loi allemande sous peine d’être déportés. Tout en se pliant au joug nazi, une écrasante majorité a choisi la France, alors qu’outre Seille, très peu ont pris parti et les autres ont vécu en simples témoins.  

Epilogue




Vue prise en 1946 à partir de la rue Emile Gentil à Volmunster :une maison, des tas de pierres et des baraquements et un chaussée défoncée.





A leur retour au pays natal, leurs baisons  étaient très souvent en ruines, et ils ont dû habiter dans des baraques durant 6 à 8 ans. 
Du 1er septembre 1939 et jusqu’à la fin de la reconstruction en 1960, les habitants du Bitcherland ont vécu des heures sombres comme beaucoup de Mosellans  et d’Alsaciens. En raison de leur dialecte germanique, ils ont été mal considérés par les Français de l’Intérieur. Du fait de leur origine, ils seront  parfois méprisés et chicanés par les Allemands.  Pourtant le Platt fait partie de notre patrimoine souvent négligé alors qu’il permet de parler à de nombreux locuteurs d’Europe.

Aucune région de France n'a été autant maltraitée que les 18 communes, dont 13 de l’ancien canton de Volmunster et 5 de celui de Bitche. Les habitants de ces villages ont été évacués, trompés, spoliés, dispersés, asservis et sinistrés  lors de la dernière guerre mondiale.

René Cabroz, historien militaire et ancien de la Brigade Alsace-Moselle le confirme: « Il n’y a pas une région française ayant payé un si lourd tribut à sa patrie entre 1940-1945 et si cher à sa libération. Et s’il y a eu des collaborateurs en régions annexées (Alsace-Moselle), l’histoire de l’épuration nous enseigne qu’ils furent l’exception et bien moins nombreux qu’à l’intérieur, et les habitants de cette région n’ont de leçon à recevoir de personne. »

Marcel Pierron, chargé des réfugiés de l’arrondissement de Sarreguemines, a fait un rapport sur la situation des expulsés du Bitcherland en 1945. « On parle beaucoup d’eux, mais on ne fait rien pour eux. Je les ai rencontrés, ils sont plus misérables et plus miséreux, moralement et physiquement, que tous les autres parce qu’ils ont tout perdu pour la troisième fois, et ne savent pas qui s’occupera d’eux, car rien ne leur donne un signe que quelqu’un y songe. Ce problème est le plus grave des problèmes des réfugiés de toute la France. »

André Schutz  a rouvert l’école de Volmunster le 16 janvier 1946  dans un baraquement. Il n’y avait ni bancs ni tableau, mais des tabourets nous a confié: « A mon arrivée, tous les habitants étaient pauvres, sans ressources, ils recommençaient à zéro, pas un seul s’est plaint. »

Joseph Antoine Sprunck

Bibliographie: 
  • L’évacuation en Lorraine de Marcel Neu
  • La tragédie lorraine de Eugène Heiser
  • Les années noires, la Moselle annexée de Bernard et  Gérard Le Marec
  • Histoire d’un « pays perdu » de François Roth
  • La lorraine annexée de François Roth
  • Ormersviller au fil des siècles 
  • Volmunster et ses annexes
  • La bataille de Nancy de René Cabroz
  • Walschbronn et la guerre de 1939-1945 de Daniel Rouschemeyer
  • Témoignage de Hubert Sprunck et de Jean-Pierre Guillou
  • Témoignage de Gustave Vogel, fils de Georges Vogel
  • Témoignages de plusieurs évacués ou expulsés
  • Les "Bitchois", Siedler malgré eux de Philippe Wilmouth

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Les épreuves subies pendant et après la guerre de 1939-1945 par une famille lorraine

C’est l’histoire authentique d’une simple famille paysanne du Bitcherland ou l'Itinéraire d'un jeune  durant la guerre Quand Antoine Sprunck, cultivateur, âgé de 45 ans, père de 5 enfants, habitant d’Ormersviller (Moselle), situé à la frontière sarroise, à 11 km au nord de Bitche, est mobilisé le 23 août 1939 au 23 ème SIM à Dieuze (Sud de la Moselle), il ne se doute pas qu’il ne pourra pas exploiter sa ferme d’une quinzaine de hectares pendant sept ans.      Il quitte Ormersviller avec le “Poschtauto” Jost, prend le train à Bitche, puis à Sarreguemines pour Dieuze, où il reviendra fin 1944 avec sa famille après une longue pérégrination.  Il ne retournera avec sa famille habiter dans son village natal que le 1er avril 1946. Après avoir déménagé huit fois, il n’emménagera qu’en 1954 dans sa maison reconstruite.   Antoine avec ses deux chevaux dans la cour pavée devant l'écurie. Son fils René, âgé de 13 ans, monte un cheval en 1939. La mobilisation En 1939, Antoine est père d

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En 1962, je ne me promenais pas au Bitcherland, mais j’étais en Algérie avec 400 000 autres appelés pour combattre les Fellaghas et l’OAS. C’était pour le maintien de l’ordre, mais en réalité c’était une guerre qui a duré 8 ans de 1954 à 1962. Le rêve d'une "décolonisation en douceur" Pourtant  Ferhat Abbas voulait une  décolonisation en douceur".  C'est pourquoi il  publie e n 1943,  le " Manifeste du peuple algérien ", qui réclame  l’égalité entre Musulmans et Européens, une réforme agraire, la reconnaissance de la langue arabe et une "République autonome" . Puis il jette l’éponge en 1951.   " Il n’y a plus d’autres solutions que les mitraillettes" , s’attrista-t-il. " Toute sa vie, Abbas aura rêvé d’une décolonisation en douceur" ,     écrit Charles-Robert Ageron dans   Genèse de l’Algérie algérienne  . Le maintien de l'ordre se transforme en guerre  Elle a opposé l'armée française à des insurgés nationalistes al

La riche histoire d'Eschviller contée par Auguste Lauer

Auguste Lauer , instituteur d'Eschvi ler membre fondateur de la Société d’histoire et d’archéologie de la section de Bitche, a enseigné en 1936 à Eschviller. L'école d'Eschviller avait deux salles de classe  Très intéressé par l’histoire locale, il a mené comme son collègue Paul Glad à Bousseviller, des recherches historiques sur Eschviller. Avant guerre, Auguste Lauer et son épouse, née Anne Schwartz, enseignaient dans les deux classes à Eschviller, annexe de Volmunster. Nous avons retrouvé un texte écrit en allemand très intéressant qui est une synthèse de nombreux documents connus en 1936. Il nous apprend mieux ce que les habitants d’Eschviller et de la région ont dû subir sous le joug des seigneurs, à cause des guerres et des invasions. Nous l’avons traduit en français pour vous faciliter la lecture. Les textes en italique ont été rajoutés par le traducteur pour une meilleure compréhension. L’histoire d’Eschviller et de sa