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Les expulsions en Moselle et au Bitcherland de 1940 à 1945

« Ce n’est pas toujours facile d’habiter à la frontière allemande. Je l’ai vécu à chaque guerre de 14/18 et 39/45 » disait mon père Antoine Sprunck

Pourquoi les Allemands veulent-ils germaniser l’Alsace-Moselle?

Après le 11 novembre 1918, les autorités françaises ont expulsé environ 111 915 habitants d’Alsace et de Moselle qui étaient surtout d’origine allemande. Le nombre d’expulsés de la Moselle est estimé à 30 000. Ils avaient le droit  de se munir de 2 000 marks et 50 kg de bagages par personne et 500 marks par enfant. 
De juillet 1940 janvier 1944, les Allemands  ont procédé de la même façon. Beaucoup seront expulsés dans le sud de la France, mais en  janvier  1943 des familles entières, surtout dialectophones seront envoyées dans des camps en Allemagne. 
Alors que les évacuations étaient organisées en septembre 1939 pour éviter des victimes civiles lors ds combats, les expulsions de 1940 à 1943 devaient faciliter la germanisation de la Moselle.  
Après l’évacuation en septembre 1939, tous les habitants des villages mosellans, situés dans la zone rouge  le long de la frontière ont été évacués soit en Charente, soit en Vienne. La plupart vont rentrer en 1940 et emménager dans leur maison, mais en  novembre 1940  environ 9 000 habitants de 18 communes du Bitcherland seront   expulsés  dans la partie francophone de la Moselle par les militaires allemands pour pouvoir agrandir le camp de Bitche et pour remplacer  les francophones (les Vollfranzosen) qui ont été expulsés dans le sud de la France. Pour les Allemands, l’expulsion des Bitcherlandais n’était pas une expulsion (Ausweisung), mais une transplantation (Umsiedlung). 

 


Carte du grand camp de Bitche et des villages expulsés, transmise par André Neiter

La germanisation de la Moselle

Dans son livre « Ce qu’ils auraient fait de l’Alsace-Lorraine » Charles Schmidt nous apprend que les Allemands avaient eux-mêmes constaté qu’en Alsace-Lorraine, ils étaient en « pays ennemi » Depuis l’annexion de 1871, la  Moselle s’appelait la Lorraine pour les Allemands. Ils veulent en 1917 « profiter de la force, que donne l’occupation militaire, effective durant toute la guerre, avec ses lois d’exception pour la germaniser ».
Pendant la première guerre mondiale les Allemands ont pratiqué en Alsace-Lorraine, ce qu’ils auraient voulu faire après la guerre en cas de victoire.  Ce qui choquait les militaires allemands particulièrement, c’est d’entendre parler et chanter en français. Pour les généraux  von Gundel et von Mudra « tolérer la  langue de l’ennemi, il y avait un danger militaire et national. »

Les propositions de Hindenburg

A la conférence de Bingen  des 15 et 16 juin 1917, on devait régler le problème économique de la germanisation. On discuta du problème de l’Alsace et de la Lorraine. Le général Hahndorff  exige que  « l’Alsace devienne allemande » et rapporte que Hindenburg préconise  « l’envoi de colons allemands  en Lorraine et la création d’une société de colonisation, dirigée par Berlin. »
Le général de Falkenhausen, commandant d’armée en  Lorraine veut «  faire passer la propriété française entre  les mains d’une grande société, dépendant de Berlin. »

L’ombre de lourdes chaînes 

Dans sa lettre en date du 27 décembre 1917 adressée au chancelier, Hindenburg préconise un régime constitutionnel à donner à l’Alsace-Lorraine dans l’avenir:
  • liquidation judiciaire des propriétés françaises foncières et industrielles
  • la colonisation allemande dans les arrondissements de Sarrebourg, Châteaux Salins, Metz-Campagne, Thionville est et ouest, comme cela a été réalisé en Pologne de  1885 à 1887 par Bismark.  Il a expulsé les deux tiers des Polonais pour germaniser les territoires polonais rattachés à la Prusse au cours des partages de la Pologne au 18 ème siècle.
  • exclusion des compagnie d’assurances françaises et des capitaux français
  • éducation allemande par l’école et l’Eglise, réforme du clergé, élimination des congrégations de femmes hostiles à l’Allemagne 
  • nomination dans l’administration des forêts et dans celle des douanes d’un personnel exclusivement vieil allemand
  • annexion au royaume de Prusse
  • bannissement des déserteurs 
  • le corps d’armée stationné en Alsace-Lorraine ne doit pas compter d’indigènes

Les différentes expulsions de 1940

Ce qui n’avait pas pu être réalisé en 1918 suite à la défaite de l’Allemagne sera mis en exécution après la signature de l’armistice du 22 juin 1940. Les quatre expulsions de 1940 débuteront en juillet 1940 et se termineront en novembre 1940.
- Expulsion du Préfet. Le 17 juin1940, les Allemands entrent à Metz et font flotter le drapeau nazi au balcon de la Mairie de Metz. Le 18 juin, le Préfet Charles Bourrat est interné dans les locaux de la Préfecture et le 3 août Josef Bürkel est nommé « chef de l’administration civile en Lorraine. Le préfet Charles Bourrat est reconduit à la frontière de 1871. Deux collaborateurs l’accompagnent.

 En 1940, les Allemands  se sont inspirés des propositions du Maréchal Hindenburg telles:
  • la colonisation allemande dans les arrondissements de Sarrebourg, Châteaux Salins,  Metz-campagne, Thionville est et ouest
  • Education allemande par l’école et l’Eglise
  • Elimination des congrégations
  • Annexion au royaume de Prusse
Ce qui n’a pas pu être réalisé en 1918, suite à la défaite des Allemands sera repris entre 1940 et 1945 où les expulsions ont été beaucoup plus restrictives.

- Expulsion des Français de l’Intérieur. Raus! Dehors!




Sortez ces pillards étrangers

Josef Bürkel doit germaniser la Moselle dans un délai de 10 ans. Ainsi la germanisation est immédiate, systématique et brutale. L’allemand devient langue officielle par ordonnance  du 24 juillet 1940. Il en est de même l’écriture gothique qui sera supprimée en 1941 par Hitler quand il a appris qu’elle a été inventée par un Juif.

Du 17 au 20 juillet 1940 1131 Mosellans sont chassés. Roger Rochon, secrétaire général de mairie honoraire,  a terminé sa carrière à Saint-Jean-d’Angély et passe sa retraite à Rochefort-sur-Mer (Charente Maritime).  Il a été expulsé  le 20 juillet 1940, car son père Louis, né 1er septembre 1891 à Sainte-Croix (Ain) un Français de l’Intérieur qui a dû se plier à l’avis publié par la mairie de Hayange. 





Sur l’avis signé par le maire de Hayange Georges Mohnen, il était écrit: « Tous les Français de l’Intérieur, tous les Juifs, tous les Nord-Africains, Asiatiques, comme tous les assistés, sont invités à quitter sans délai le département de la Moselle et à se diriger vers la France. Il leur est permis de se munir d’un bagage à main et d’une somme de 400 F. A partir du 20 juillet, à minuit le bagage en question sera limité à 10 kg. Le contrôle sera exercé à l’ancienne frontière existant de 1870 à 1918. » Signé le maire Georges  Mohnen avec le cachet de la mairie de Hayange.

Il a rejoint à pied Briey avec sa famille, en mettant les bagages dans une charrette à main, puis Lyon  en train. C’est ainsi que 1 131Mosellans, essentiellement de Thionville Ouest ont été exilés en juillet 1940.

Expulsion des francophiles, des patriotes et des communistes 

A partir du mois d’août, les avis d’expulsion sont très nombreux. Les expulsés ont le droit d’emporter 2 000 F et 50 kg de bagage  par adulte et 1 000 F et 30 kg de bagage par enfant.  
Suite au rassemblement des Messins le 15 août sur la Place Saint-Jacques, 4 307 ont été expulsés de 16 au 17 août, 11 230 du 28 août au  7 septembre, 7542 et du 16 au18 septembre 7542
8 513 Juifs sont exilés. Parmi eux 2 344 ne rentreront pas de déportation ou tomberont  dans les rangs de la Résistance.

 Les expulsés lors du retour des évacués

L’article 16 de l’armistice signé le 22 juin 1940 oblige l’Etat français à rapatrier les 227 000 Mosellans, issus de 224 communes et évacués  début septembre 1939 en Charente, en Vienne et dans le Nord. Il en est de même pour les 82 000 évacués de mai 1940.  Sur les 309 000 évacués, 70 000 décident de rester en France. Ceux qui rentrent sont triés à  Saint Dizier, et 23 953 personnes sont refoulées, car les Allemands ont des renseignements précis. 

Le choix des expulsés

La Gestapo trouve la liste des Français de l’intérieur et des étrangers dans les mairies.  Elle se sert de celles établies par les services secrets allemands et   certains enseignants allemands avant 1918 pour les indésirables. Il en est de même de  la liste des  membres du Souvenir Français et des associations patriotiques conservées dans les archives des sous-préfectures. Nombreux furent également ceux qui ont été dénoncés. En 1940 l’instituteur nazi de Tincry fait expulser une famille d’Eschviller en novembre 1940.
C’est Adolphe Hitler en personne qui autorise Josef  Bürkel  le 2 novembre 1940 à expulser les Mosellans francophones ou indésirables. Pour lui, cette province sera vraiment allemande pour toujours.  Le 1er novembre 1940 tous les Leiter (dirigeants) de la Deutsche Volksgemeinschaft, sont convoqués en mairie pour constituer la liste « des personnes  qui font usage de la langue française et qui se sont décidées par enquête  pour la France ou au minimum une position de soutien aux Français » Cela ne concerne que les chefs de famille.  Ils ont le choix d’aller en Allemagne ou en France. Il subiront les mêmes conditions d’expulsion. On les informe  que les biens  laissés sont inventoriés et les indemnités seront reversées par la France. Un exemplaire de l’inventaire est  remis aux expulsés.
Aussitôt les agriculteurs cessent les travaux des champs. Les femmes cousent des sacs de toile pour emballer le linge et des vêtements. Les hommes fabriquent des caisses en bois. On cache l’argent,  la vaisselle, l’argenterie etc.
Le 10 novembre 1940 des affiches en français et en allemand expliquent les raisons de ce départ: 
« Lorrains!, Vous connaissez tous la tâche que le Führer m’a confiée. Cette province devra  être vraiment allemande à tout jamais… De même que le Reich a rapatrié ses Allemands, de même la France va rapatrier ceux qui se sont confessés Français… »
Ce sont  les cantons de l’arrondissement  de Château-Salins qui ont subi le plus d’expulsions.

Par contre, les Allemands garderont les mineurs, les métallurgistes, les postiers, les cheminots, les professions de santé, les bûcherons, les anciens gradés de l’armée allemande et les chefs d’équipe dans certaines usines.
L’expulsion des francophones a été effectuée entre le 11 et le 21 novembre 1940. Elle concerne 57 655 Mosellans,  dont la plupart sont  des Mosellans francophones résidant au sud d’une ligne Thionville-Sarrebourg et la ville de Metz. Dans la région de Château-Salins, Boulay et Sarrebourg. Les fermes seront occupées et gérées par  des Allemands et environ 652 familles mosellanes, soit 



Etat établi par Joseph Rittgen et Léon Heckel, membres de la SHAL de Bitche.

9 407 habitants du Bitcherland, issus des 18 communes rattachées au grand camp 




La zone des villages expulsés est rayée






Panneau interdisant l'entrée du camp de Bitche

militaire de Bitche camp. Ces derniers sont expulsés et expropriés et deviendront des colons (Siedler) comme les Allemands.

Le 22 novembre 1940, Burkel annonce par affiche la fin des expulsions et la disparition de la frontière linguistique. Un rapatriement à l’Est du Reich n’est plus à l’ordre du jour.  Il résulte que tous les Lorrains qui sont à présent reconnus comme Allemands, ont les mêmes droits et devoirs que les autres citoyens du « Gau Saarpfalz-Lothringen. »

Expulsion des optants en 1941

En février 1941, Burkel permet aux Mosellans se reconnaissant français, de déposer une demande d’émigration vers la France.  Les volontaires sont appelés à se présenter à la police avant le 19 mars 1941. Certains ont décidé d’émigrer afin que leur fils n’ait pas besoin de porter l’uniforme allemand. Cette option est l’occasion pour éviter l’enrôlement de force de 6 707 optants enregistrés à Lyon.

Expulsion des prêtres fonctionnaires et des naturalisés

Le 16 août 1940, Mgr Joseph-Jean Heintz, évêque de Metz, est expulsé en représailles de  l’expulsion de Mgr Benzler en 1918 et de la manifestation du 15 août sur la Place Saint-Jacques, devant la statue  de la Sainte-Vierge fleurie aux couleurs de la France.
Sont également expulsés le maire de Thionville, les fonctionnaires et les naturalisés français. En septembre 1940,   268 prêtres séculiers et 150 réguliers de différents ordres religieux sont expulsés. Le 28 juillet 1941, de grand matin,  les agents de la Gestapo ont invité 104 curés à les suivre pour un interrogatoire, alors qu’en réalité, c’était pour les expulser. La plupart n’avaient que leur bréviaire. Leur argent de poche  a été arrondi à 2 000 F. On leur demande de choisir la déportation pour la Pologne ou la France. Burkel leur reproche « l’activité sournoise qui abusent de leur influence spirituelle pour des fins de révolte politique »

Les dernières expulsions

Le 3 octobre 1941, 137 Dieuzois des Ets Kuhlmann sont expulsés et remplacés par des spécialistes allemands.
Le 20 octobre 1941, plusieurs familles  italiennes sont chassées.
Le 5 janvier 1942 1 342 personnes, ayant demandé à émigrer, seront les derniers  à rejoindre la France inoccupée.

En somme environ 100 000 Mosellans, francophiles et anti-allemands sont chassés de Moselle. La plupart sont dirigés vers Lyon. A la gare, les trains sont salués par le préfet  du Rhône. Les expulsés sont accueillis par un comité d’accueil, composé de Mosellans, Mgr Heintz et le préfet de Moselle Charles Bourrat. L’identité des arrivants est vérifié par  un commissaire de police. Ils sont ensuite transportés par des tramways au grand centre d’accueil du Palais de la foire. Ensuite, ils sont répartis dans la zone libre, particulièrement du sud, dans une quarantaine de départements.

Témoignage d’un expulsé dans le Tarn

Charles Rebmann est né le 12 mai 1932 à Eschviller. Alors que son père Nicolas est mobilisé, sa mère et le reste de la famille devaient être  évacués le 1er septembre pour la Charente. Mais avant le départ du train, son oncle Joseph Rinder vient récupérer la famille chez lui à Tincry (Moselle) où il gérait une laiterie. Dès juin 1940, la Moselle est annexée de fait.
A la rentrée scolaire d’octobre, son instituteur est un  Allemand nazi. « Dès le premier jour, le maître nous distribue la photo d’Adolphe Hitler et nous apprend le salut nazi. Quand je montre cette photo à mon père, il se fâche, la déchire et la brûle. Le lendemain, le maître demande à chaque élève de mettre la photo sur la table pour le salut. Comme je ne l’ai  plus, il me tire tellement l’oreille qu’il la décolle et   elle saigne. » nous raconte Charles.   Alors qu’à l’école de Volmunster, il  avait appris  l’écriture latine, à Tincry il a dû apprendre l’écriture gothique. » nous relate Charles Rebmann.

Un père anti-nazi

« Comme mon père  était vraiment anti-nazi  et avait refusé manifestement d’intégrer la Deutsche Volksgemeinschaft (la communauté allemande), nous avons été  expulsés avec la habitants indésirables de Tincry en novembre 1940. Nous avons été accueillis dans le village fortifié de Puycelsi (Tarn), qui fait partie actuellement des plus beaux villages de France. J’y ai fréquenté l’école, mais comme mon frère et moi avons continué à parler le Platt, nous sommes  traités de  B… par les  jeunes du village » nous a raconté avec émotion Charles. La famille ne reviendra qu’en 1946 à Eschviller, où elle trouvera leur maison en partie détruite.   

Les Siedler « Malgré-eux »

En septembre 1940, les Allemands demandent aux réfugiés mosellans  en Charente  de retourner chez eux. Tous espèrent retrouver leur village et leur maison.  Hélas, arrivés à Sarrebourg, le voyage s’arrête pour les habitants de 18 communes du Bitcherland  qui feront partie du grand camp militaire de Bitche : Bousseviller, Breidenbach, Epping, Hanviller, Haspelschiedt, Hottviller, Lengelsheim, Liederschiedt, Loutzviller, Nousseviller-lès-Bitche, Ormersviller, Rolbing, Roppeviller, Schorbach, Schweyen, Volmunster, Waldhouse, Walschbronn)






Certificat d’adhésion à la Caisse de Salzburgen (Château-Salins d’Anton Sprunck à Manhoué (Jérôme à la place Yvonne)

Propriétaires et locataires à la fois

 A Holbach, annexe de Siersthal, les  habitants sont revenus  le 27 août 1940.  Vu la création du grand camp militaire de Bitche, ils ont été expulsés et logés dans l’ancien pensionnat des Soeurs de la Divine Providence de Siersthal. Ce n’est qu’au mois de mars 1941 que les autorités militaires  allemandes ont donné l’autorisation aux familles de retourner à habiter à Holbach, à condition qu’un membre de la famille aille travailler à la ferme du Légeret, gérée par l’armée allemande. En réalité, ils n’étaient plus propriétaires, mais locataires et devaient payer pour leur propre maison  un loyer qui était retenu sur leur salaire. 
Dans les 18 autres communes, certains rentrent malgré tout.  Les hommes empruntent des bicyclettes pour voir l’état des maisons. Vu que les maisons ne sont pas trop détruites, beaucoup ont rejoint leur village. En novembre 1940, les militaires décident de les expulser dans le Saulnois, où ils remplacent les habitants envoyés en France. Ils ont été environ 9140 Bitcherlandais que les habitants du Saulnois appelaient les « Bitchois. » En règle générale, les fermiers du Bitcherland vont correctement gérer ces fermes où ils pourront à nouveau travailler la terre, récolter comme s’ils étaient les vrais propriétaires. 

Colonisation allemande en Lorraine

Le 24 mai 1941 la Deutsche Allgemeine Zeitung écrit: «  Plusieurs milliers de familles doivent être transplantées du sud de la Sarre-Palatinat, dans les villages lorrains, dans un premiers temps en qualité de gérants, la colonisation définitive de devant intervenir qu’après la guerre »
Dans un discours prononcé le 8 mars 1941 Burkel annonce le véritable but de cette colonisation: « La faible densité de la population, qui a été négligée d’une façon incroyable par la France, exige l’installation de paysans qui trouveront toutes les conditions  pour travailler en hommes libres sur la  terre qui leur appartiendra. Ils doivent construire ici une nouvelle patrie à laquelle, ils doivent donner un aspect allemand… Seuls des êtres humains allemands habiteront cette région. C’est ainsi que nous créerons , dans cette partie la plus jeune du Gau Westmark, une population d’une même race qui donnera toutes  les garanties de remplir les tâches qui lui seront assignées dans le cadre de la Grande Allemagne. »
Burkel prévoit d’y implanter 400 000 Allemands. Ainsi   pour lui  « le caractère allemand de ce pays limitrophe sera  définitivement assuré ».

Les Siedler dépendaient de la Bauersiedlung Westmark.  Dans chaque village, les Siedler travaillaient sous la direction du Ortsbauerführer. Chaque exploitant devait transmettre chaque mois le compte mensuel. La récolte revenait presque qu'entièrement à la Bauerziedlung. Le Ziedler avait le droit de garder les denrées dont il avait besoin. Pour aider le Ziedler, des commis polonais lui étaient affectés. Pour 40 ha, il avait droit à 2 Polonais, s'il n'y avait que des garçons dans la famille, il avait droit à une Polonaise. Un Polonais n'avait pas le droit d'avoir des liaisons avec des Allemands. Si les gendarmes l'apprenaient, le Polonais était emprisonné, condamné à mort et pendu devant tous les autres Polonais  de la région.

La retraite des Allemands 

«A Manhoué, les Allemands ont installé plusieurs familles de Volmunster et d’Ormersviller, des familles allemandes et roumaines pour gérer les exploitations agricoles des francophones expulsés. De nombreux  douaniers allemands ont logé dans une maison dans la partie haute de Manhoué, un village situé sur la Seille, qui est la frontière de la Moselle et de la Meurthe et Moselle. Des Polonais  aident les différentes familles dans la culture.» nous explique Germaine Fischer de Volmunster
"Le 1er septembre 1944, c’est la retraite des Allemands, des colonnes de militaires traversent Manhoué et s’invitent à manger chez l’habitant. «Les chevaux et les bicyclettes sont réquisitionnés. Les familles allemandes et roumaines ainsi que les douaniers quittent le village.» raconte René Meyer Les militaires reviennent occuper le village plusieurs jours après. Les combats commencent, des maisons brûlent. «Pendant toute cette période de combats, tous les habitants vivent dans la cave. Souvent on retrouve   plusieurs familles  dans la même cave, chacun a l’impression d’être en meilleure sécurité quand il est en groupe." précise René Meyer de Volmunster

L'arrivée des Américains

"Le 13 septembre 1944, Manhoué est investi par les Américains.  Il ne reste à Manhoué, fin septembre 1944 que les Mosellans et les Polonais.» raconte René Meyer.  Les Américains distribuent du chewing-gum et du chocolat à tout le monde.  Ils restent deux à trois jours, puis quittent le village. Le 27 septembre 1944, Jean Fischer, originaire d’Eschviller, Commune de Volmunster,  est blessé, alors qu’il rentrait les canards qui se promenaient sur la route. «Aloyse Meyer et un Polonais sont envoyés à Malaucourt pour demander à l’abbé Aloyse Schild de venir à Manhoué pour l’extrême onction. Hélas, c’est trop dangereux pour revenir, ils se sont réfugiés dans la famille Gérard Sprunck.» nous relate Denise Sprunck

Réfugiés à Nancy libéré

«Trois jours après, le 30 septembre les habitants sont invités par les Américains à rejoindre à pied après la tombée de la nuit, le village d’Aboncourt-sur-Seille, distant de deux kilomètres. Le transport par camion est trop visible.  C’est loin, quand des tirs traçants d’obus  passent  au-dessus de votre tête. Chacun a porté ce qu’il a pu,  les grandes personnes des valises, les enfants des sacs ou toutes sortes d’objets hétéroclites.   Beaucoup de grandes personnes ont pleuré en marchant, car pendant toute la marche, on a entendu que la bataille faisait rage et on voyait des tirs traçants traverser le ciel. Personne ne parle, chacun a marché aussi vite que possible.  Tout le monde a eu hâte de trouver un abri.  Enfin, la colonne de réfugiés est arrivée par chance sans incident à Aboncourt.  Dans le plus grand silence, les familles avec tout ce qu’ils pouvaient emporter, ont  embarqué sur des GMC américains qui les a emmenées à Nancy  libéré  15 septembre 1944» se souvient Germaine Faber.
Ils ont été pris en charge par la Croix Rouge et le Secours National. Tout le monde est logé dans une école désaffectée 12, rue du Serre à Nancy jusqu’au 15 novembre 1944. Puis les familles sont réparties dans des logements vides. Manhoué ne sera libéré définitivement que 17 novembre 1944. Ormersviller et Volmunster seront libérés le 16 mars 1945.
« Alors que certaines familles ont réussi à inscrire leurs enfants dans l’école du quartier. A la grande surprise, certains directeurs d’école de Nancy ont refusé de les inscrire, par manque de place ont-ils dit » nous a relaté Germaine Fischer. Tous ces expulsés sont rentrés entre le 8 mai 1945 et 1947, certains pourront habiter leur maison, mais beaucoup   ont  été logés  au minimum 8 ans dans des baraquements.

Epilogue

Du 1er septembre 1939, jusqu’à la fin de la reconstruction,      les habitants  des 18 communes du Bitcherland ont vécu des heures tragiques comme beaucoup de Mosellans et Alsaciens. De plus, en raison de leur langue maternelle, le Platt, ils ont été mal considérés par les Français de l’Intérieur, car ils parlaient la langue de l’ennemi. Ensuite, ils ont également été méprisés  et chicanés par les Allemands.

Aucune région de France n’a été aussi maltraitée que les habitants des 18 communes du Bitcherland transformées en  grand camp militaire. Les habitants ont été évacués, trompés, bannis, dispersés, dépossédés, asservis et sinistrés. 652 chefs de famille ont été des Siedler malgré eux et considérés par certains comme collaborateurs.
Pour René Cabroz, historien militaire, résistant et ancien de la Brigade Alsace-Lorraine écrit: « Il n’y a pas une région française ayant payé un si lourd tribut à sa patrie en 1940 et 1945 et si cher à sa libération. »
André Pierron dans son rapport sur la situation  des villages expulsés écrit: « On parle beaucoup d’eux, mais on ne fait rien pour eux. Je les ai rencontrés, ils sont misérables et plus miséreux, moralement et physiquement que tous les autres, parce qu’ils ont tout perdu  pour la troisième fois, et ne savent pas qui s’occupera d’eux, car rien ne leur donne le sentiment que quelqu’un y songe. Ce problème est le plus grave des problèmes des réfugiés de toute la France. » 
Ce qui étonne André Schutz nommé instituteur qui a ouvert l’école de Volmunster le 16 janvier. 1946: « A mon arrivée, tous les habitants étaient pauvres, sans ressources, vivaient dans des baraquements sans commodités, avec beaucoup de boue dans les rues, ils recommençaient à zéro. Pas un seul ne s’est plaint. »
Après avoir vécu une pérégrination durant six ans, le retour dans un village en ruines, les habitants ne sont plus les mêmes   qu’en 1939. Certains ont perdu un fils à la guerre, un père lors de la libération,  un frère en déportation, une soeur lors d’un bombardement, et tous ont vécu très souvent dans la peur.  Mais ce qui les a vexés le plus, quand on les traitait de collaborateurs des Allemands.
Tout cela a transformé leur coeur et leur mentalité. Ils ont   rarement évoqué cette période, car ces épreuves inutiles les ont marqués et leur ont donné un courage et un esprit d’entreprise qui a transformé leur mentalité et leur façon de vivre et de travailler.
Joseph Antoine Sprunck

Biographies:
  •  La bataille de Nancy de René Cabroz
  • Malgré nous et autres oubliés de Joseph Burg
  • Les années de Liberté du Républicain Lorrain
  • L’Evacuation de Marcel Neu
  • L’évacuation en septembre 1939 de Stéphanie Sprunck
  • Les « Bitchois », Siedler malgré eux de Philippe Wilmouth
  • Les expulsés mosellans en 1940 de Henri Hiegel
  • Ce qu’ils auraient fait de l’Alsace-Lorraine de Charles Schmidt
  • Les Années noires de Bernard et Gérard Le Marec
  • De gré et de force de Benoît Charenton, Jean-Eric Jung et Philippe Wilmouth
  • Témoignages de  Roger Rochon, Germaine Faber, René Meyer et Denise Sprunck
  • Les épreuves subies pendant et après la guerre  de 1939-1945 par   une famille lorraine de Joseph Antoine Sprunck
  • Ormersviller dans la tourmente de 1939 à 1945 de Joseph Antoine Sprunck
  • A la découverte de l’histoire de nos villages de la commune de Siersthal de Jean Amen
  • Souvenirs de guerre de René Megel

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En 1962, je ne me promenais pas au Bitcherland, mais j’étais en Algérie avec 400 000 autres appelés pour combattre les Fellaghas et l’OAS. C’était pour le maintien de l’ordre, mais en réalité c’était une guerre qui a duré 8 ans de 1954 à 1962. Le rêve d'une "décolonisation en douceur" Pourtant  Ferhat Abbas voulait une  décolonisation en douceur".  C'est pourquoi il  publie e n 1943,  le " Manifeste du peuple algérien ", qui réclame  l’égalité entre Musulmans et Européens, une réforme agraire, la reconnaissance de la langue arabe et une "République autonome" . Puis il jette l’éponge en 1951.   " Il n’y a plus d’autres solutions que les mitraillettes" , s’attrista-t-il. " Toute sa vie, Abbas aura rêvé d’une décolonisation en douceur" ,     écrit Charles-Robert Ageron dans   Genèse de l’Algérie algérienne  . Le maintien de l'ordre se transforme en guerre  Elle a opposé l'armée française à des insurgés nationalistes al

La riche histoire d'Eschviller contée par Auguste Lauer

Auguste Lauer , instituteur d'Eschvil ler membre fondateur de la Société d’histoire et d’archéologie de la section de Bitche, a enseigné de 1932 à 1936 à Eschviller. Il était originaire de Saint-Louis-lès-Bitche. Il était chevalier   des Palmes académiques et lauréat de l'Académie de Metz. L'école d'Eschviller avait deux salles de classe  Très intéressé par l’histoire locale, il a mené comme son collègue Paul Glad à Bousseviller, des recherches historiques sur Eschviller. Avant guerre, Auguste Lauer et son épouse, née Anne Schwartz, enseignaient dans les deux classes à Eschviller, annexe de Volmunster. Nous avons retrouvé un texte écrit en allemand très intéressant qui est une synthèse de nombreux documents connus en 1936. Il nous apprend mieux ce que les habitants d’Eschviller et de la région ont dû subir sous le joug des seigneurs, à cause des guerres et des invasions. Nous l’avons traduit en français pour vous faciliter la lecture. L