Accéder au contenu principal

Dernier entretien avec l’abbé Gérard Henner, curé-archiprêtre de Volmunster

 



Photo Joseph Antoine Sprunck

L'Abbé Gérard Henner devant l'église Saint-Pierre de Volmunster, instigateur de la  fresque en mosaïque, représentant Saint-Pierre, Saint Bernard et Saint Pirmin et du bandeau Venite Adoremus Dominum.

Le samedi 12 août 2006, j’avais rendez-vous à 8 h  avec Gérard Henner afin de pouvoir rédiger l’article pour le journal Républicain Lorrain relatif à son départ de Volmunster avant de célébrer sa dernière Eucharistie le dimanche 20 août en tant que Curé de la Communauté des paroisses Saint Pirmin en l’église Saint Pierre de Volmunster.

A l’heure convenue, je me présente au presbytère, avec mon carnet de notes et mon appareil photo.

La porte est déjà entrouverte, j’entre, et je le vois fermer un carton. Il m’invite comme d’habitude dans sa cuisine à prendre un café. Dans le couloir, sont alignés des cartons renfermant ses livres et ses nombreuses archives récoltées aux archives de Metz, Sarreguemines et ailleurs.

Une entrevue émouvante

Gérard me parle de son parcours et de ses quatorze années passées au presbytère de Volmunster et dans la communauté Saint Pirmin. Il est un peu nerveux et ému par moments, et pourtant serein lors de notre entretien. Malgré son départ programmé quelques jours plus tard, il est souriant, et pour la première fois il me fait visiter son appartement où l’on voit partout que le départ est imminent.

Quand nous sommes dans la salle de réunion, dont les peintures ont été refaites, je constate qu’il a pincement au cœur lorsqu’il regarde les tableaux au mur, dont certains lui rappellent de nombreux souvenirs.
- Maintenant que je pars, celle salle de réunion est toute belle, et quand je la regarde, j’ai de la peine à partir.

Nouvelle mission


- Vu ton âge et tes problèmes de santé, tu aurais dû finir ta mission à Volmunster, car ce déménagement va te fatiguer, et prendre en charge une nouvelle communauté de paroisses te demandera beaucoup d’efforts et de travail.
- Je suis nommé à Neufgrange et je m’occuperai de la communauté des 
paroisses Saint Joseph de Sarreguemines-Sud, comprenant les villages de Neufgrange, Hambach, Roth et Woustviller. J’ai accepté mon poste et j’ai décidé de partir. Maintenant, je ne fais plus marche arrière.

- Tu as mis de nombreuses équipes de collaborateurs laïcs en place, il faudra probablement faire pareil à Neufgrange.

- A Neufgrange, j’arrêterai d’écrire des livres et de fouiller les archives. Tu sais, il fallait parfois plusieurs heures de recherches pour trouver une date ou le nom d’une personne. J’ai aimé faire cela, car je rencontrais beaucoup de monde, des gens tout simples qui en savaient beaucoup, de véritables livres vivants. Maintenant que tu es également seul à la maison, tu sais mieux que quiconque, qu’on a besoin de sortir de chez soi pour parler avec d’autres. La solitude permet de réfléchir, de méditer, de se ressourcer, mais l’homme a besoin de contact, de parler à d’autres, sinon il risque de tomber dans la déprime. Quand je rentrais le soir, je ne pouvais partager ni mes peines, ni mes joies avec quelqu'un.

- Je te comprends très bien, c’est pourquoi, je me suis lancé dans beaucoup d’actions bénévoles et je continue à être correspondant de presse et bénévole dans les associations.
- Je te remercie pour ta collaboration, car tu as toujours publié ce que je te demandais, et je te laissais la liberté de changer parfois le texte. Tu ne m’as jamais trahi dans ce sens. Et aujourd’hui, tu viens pour rédiger l’article annonçant mon départ de Volmunster. Tu sais, à Volmunster, je venais à la messe et au catéchisme quand j’étais écolier. J’y ai également célébré ma première messe. Je tiens beaucoup à ce village. J’y suis resté quatorze ans, cela fait un sacré bail.

Un arbre déraciné

Gérard me donne l’impression d’un arbre qu’on finit de déraciner pour le replanter ailleurs. Il est pris par ses émotions, s’arrête de parler. Après un court silence, il reprend.
- En te parlant de la première messe, j’ai pensé à mes parents et ma tante qui fut une gouvernante formidable pendant de longues années. Ils me regardent de là-haut... Maintenant, je quitte mes paroissiens que j’ai surtout appris à connaître en tant que curé. Pour que tu puisses écrire ton article je vais te parler de mon curriculum vitae.

Il est à nouveau ému.

Puis après un moment de silence, il reprend:
- J’ai été nommé en 1992 curé-achiprêtre de Volmunster, Ormersviller, Loutzviller Schweyen et Rolbing. Ainsi je suis devenu curé de ma paroisse d’origine, ce qui est rare, puisque je suis originaire de Nousseviller-lès-Bitche, annexe de la paroisse de Volmunster. Depuis mon arrivée, j’ai mis sur pied la communauté des paroisses Saint Pirmin avec trois paroisses supplémentaires: Hottviller, Breidenbach et Lengelsheim. J’ai administré ainsi les paroissiens de neuf communes, alors que le canton en compte seize.

Ses déceptions

- Je suis né le 14 décembre 1941 à Metz durant la période d’expulsion de mes parents dans le Saulnois. Après l’école primaire de Nousseviller-lès-Bitche, j’ai fait mes études chez les Marianistes et en 1958, je suis entré au grand séminaire de Metz. En juin 1965, je suis ordonné prêtre à la cathédrale de Metz par Mgr Paul-Joseph Schmitt que les paroissiens de Volmunster connaissaient très bien puisqu’il venait souvent célébrer la messe lors des grands fêtes quand il était supérieur du Collège Saint Augustin. Cela permettait au curé Henri Auer de diriger la chorale qui chantait souvent des cantiques polyphoniques. D’ailleurs, le curé Henri Auer ne voulait pas que la foule chante et moi ainsi que mes prédécesseurs n’ont pas réussi à les faire chanter. Pour moi, c’est décevant, quand les fidèles  ne chantent pas. J’ai l’impression qu’ils sont absents et ailleurs dans leur tête. Je faisais distribuer les livres de chants et ils ne chantaient pas plus. Il y a un poète qui disait: "L’habitude est une deuxième nature" Cela est vrai. J’ai réussi beaucoup de choses avec mes paroissiens, sauf les faire chanter. Hélas, c’est un échec pour moi. Ceux qui chantent timidement, ce sont surtout ceux qui viennent d’ailleurs.
- C’est vrai à Ormersviller, on chante plus qu’à Volmunster, mon père disait toujours: "Chanter, c’est prier deux fois."

Ses différentes missions

Gérard sert une deuxième tasse de café et continue
- Revenons à nos moutons. En 1965, je suis nommé vicaire à la paroisse  Saint Nicolas de 
Sarreguemines, puis en 1970 à Stiring-Wendel. En 1975, je prends les fonctions de vicaire-résident à la cité ouvrière de Forbach-Wiesberg. J’étais 11 ans dans le pays minier, j’y ai découvert le monde ouvrier multiculturel. C’est un milieu différent que celui du Bitcherland. Les mineurs étaient originaires de nombreux pays. En 1981, j’ai été nommé curé de Gros-Réderching et Bining avant de venir à Volmunster. Depuis mon arrivée, j’ai publié, avec l’aide de plusieurs collaborateurs, de nombreux livres d’histoire locale sur les communes dont j’étais le curé. Rémy Seiwert m’a donné un sacré coup de main pour les derniers livres.

Le silence rompu

- Tu as donné la parole à de nombreux habitants, qui chacun a vécu sa propre histoire.
- Certains ont raconté pour la première fois tout ce qu’ils ont vécu et souffert lors de la dernière guerre mondiale. Il faut écrire et raconter ce qui s’est passé, car sans cela tout tombera dans l’oubli. A mon avis, tous ces habitants expulsés du Bitcherland sont parmi ceux qui ont le plus souffert lors de la dernière guerre. A ces sacrées guerres, elles ont fait des ravages et continuent actuellement encore dans plusieurs pays du monde.

- Ces habitants du Bitcherland qui ont tant souffert, ils sont oubliés par les historiens officiels, il a fallu que certains écrivent des livres d’histoire locale. Dans ce sens, tu y as beaucoup contribué. Pour certains, tu as libéré la parole, ils ont raconté des faits enfouis dans leur subconscient.

Les souffrances endurées par les Bitcherlandais expulsés

- C’est très important qu’on rapporte tout ce que ces habitants expulsés des 18 communes rattachées au camp de Bitche ont souffert durant la dernière guerre. Ils ont vécu un vrai calvaire. Ils sont partis en septembre 1939, certains sont rentrés, puis ils furent expulsés, puis quand ils sont revenus, après la libération du Bitcherland, tout était détruit et volé. Les années les plus difficiles ont été de 1944 à la libération, puis le retour dans les baraques où beaucoup ont habité dans le dénuement et souffert du froid en hiver et de la chaleur en été. En 1945 et 1946, on vivait encore sans électricité. Les paysans n’avaient plus d’outils, j’arrête maintenant, sinon tu ne pourras jamais écrire ton article.

Collaboration des laïcs

- Pendant ton séjour à Volmunster tu as beaucoup compté sur les laïcs.
- Dans cette communauté de paroisses Saint Pïrmin j’y suis parfaitement heureux. J’ai trois insistances qui m’ont toujours motivé: le contact direct avec un maximum de familles, l’urgence du travail de formation théologique et biblique des laïcs chrétiens et ma participation à la formation des laïcs prenant 
des responsabilités dans les paroisses ainsi que le partage du travail pastoral avec de nombreux laïcs et l’équipe d’animation pastorale.

- Quelles ont été les actions dont tu es le plus fier?
- La mise en place des équipes de laïcs, la rénovation des églises et des chapelles, et particulièrement la fresque monumentale représentant Saint Pierre, Saint Bernard et Saint Pirmin sur le fronton de l’église Saint Pierre de Volmunster. On parle d’ailleurs de cette fresque dans le guide vert Michelin. Les peintures et sculptures réalisées par l’association CADRE à Ormersviller m’ont également beaucoup satisfait.

- Quelle a été ta plus grande déception?
- C’est la recherche d’un président du conseil de fabrique de Volmunster pendant plusieurs semaines, et tout le monde refusait En fin de compte, c’est un Allemand Martin Lauer, qui a accepté sans me poser beaucoup de questions. Nous nous entendons très bien.
- Je te propose de faire une photo à l’église ou devant l’église
- D’accord. Allons-y.

Il prend plusieurs poses pour les photos, et c’est Gérard qui choisit la photo qui paraîtra dans le journal. Le fait de voir la fresque du fronton de l’église en arrière-plan lui plaît.

Nous poursuivons notre entretien en remontant au Schwitzerberg pour retourner au presbytère.

- Connais-tu Joseph Schlosser le nouveau curé qui me remplace,  
- Non, mais Alex Staub avec qui il a joué au football m’a dit: “Il est aussi bien à l’église que sur le stade. C’est encore un très bon joueur.”
- J’espère que tu travailleras bien avec lui.
- Je n’y manquerai pas.
- Au revoir, Joseph, on se verra peut-être à la chapelle Saint Joseph à Ormersviller, le jour de l’Assomption.
- Je n’ai jamais manqué ce rendez-vous, sauf l’an dernier. Et tu sais pourquoi. Je viendrai pour assister à la messe et pour déjeuner. J’en profiterai pour couvrir l’événement pour l’Ami Hebdo.
- Alors, à mardi.

- A mardi
Le mardi, je ne le reverrai plus, puisque Gérard a eu un malaise au 
cours de la messe de 9 h à Schweyen, et c’est dans la soirée qu’on a appris son décès, causé par une rupture d'anévrisme, à l’hôpital du Parc à Sarreguemines.

L’article annonçant son départ a paru le lundi 14 août 2006 dans le Républicain Lorrain, et le 15 août, il nous a quittés définitivement.

Joseph Antoine Sprunck

Posts les plus consultés de ce blog

Les épreuves subies pendant et après la guerre de 1939-1945 par une famille lorraine

C’est l’histoire authentique d’une simple famille paysanne du Bitcherland ou l'Itinéraire d'un jeune  durant la guerre Quand Antoine Sprunck, cultivateur, âgé de 45 ans, père de 5 enfants, habitant d’Ormersviller (Moselle), situé à la frontière sarroise, à 11 km au nord de Bitche, est mobilisé le 23 août 1939 au 23 ème SIM à Dieuze (Sud de la Moselle), il ne se doute pas qu’il ne pourra pas exploiter sa ferme d’une quinzaine de hectares pendant sept ans.      Il quitte Ormersviller avec le “Poschtauto” Jost, prend le train à Bitche, puis à Sarreguemines pour Dieuze, où il reviendra fin 1944 avec sa famille après une longue pérégrination.  Il ne retournera avec sa famille habiter dans son village natal que le 1er avril 1946. Après avoir déménagé huit fois, il n’emménagera qu’en 1954 dans sa maison reconstruite.   Antoine avec ses deux chevaux dans la cour pavée devant l'écurie. Son fils René, âgé de 13 ans, monte un cheval en 1939. La mobilisation En 1939, Antoine est père d

Guerre d'Algérie: témoignage d'un ancien appelé du contingent de 1961-1963

En 1962, je ne me promenais pas au Bitcherland, mais j’étais en Algérie avec 400 000 autres appelés pour combattre les Fellaghas et l’OAS. C’était pour le maintien de l’ordre, mais en réalité c’était une guerre qui a duré 8 ans de 1954 à 1962. Le rêve d'une "décolonisation en douceur" Pourtant  Ferhat Abbas voulait une  décolonisation en douceur".  C'est pourquoi il  publie e n 1943,  le " Manifeste du peuple algérien ", qui réclame  l’égalité entre Musulmans et Européens, une réforme agraire, la reconnaissance de la langue arabe et une "République autonome" . Puis il jette l’éponge en 1951.   " Il n’y a plus d’autres solutions que les mitraillettes" , s’attrista-t-il. " Toute sa vie, Abbas aura rêvé d’une décolonisation en douceur" ,     écrit Charles-Robert Ageron dans   Genèse de l’Algérie algérienne  . Le maintien de l'ordre se transforme en guerre  Elle a opposé l'armée française à des insurgés nationalistes al

La riche histoire d'Eschviller contée par Auguste Lauer

Auguste Lauer , instituteur d'Eschvi ler membre fondateur de la Société d’histoire et d’archéologie de la section de Bitche, a enseigné en 1936 à Eschviller. L'école d'Eschviller avait deux salles de classe  Très intéressé par l’histoire locale, il a mené comme son collègue Paul Glad à Bousseviller, des recherches historiques sur Eschviller. Avant guerre, Auguste Lauer et son épouse, née Anne Schwartz, enseignaient dans les deux classes à Eschviller, annexe de Volmunster. Nous avons retrouvé un texte écrit en allemand très intéressant qui est une synthèse de nombreux documents connus en 1936. Il nous apprend mieux ce que les habitants d’Eschviller et de la région ont dû subir sous le joug des seigneurs, à cause des guerres et des invasions. Nous l’avons traduit en français pour vous faciliter la lecture. Les textes en italique ont été rajoutés par le traducteur pour une meilleure compréhension. L’histoire d’Eschviller et de sa