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L'inattendue et effroyable nazification de la Moselle de 1940 à 1945


Dès le 13 mai 1940, trois jours après l’offensive allemande,  Bürckel a été nommé chef de l’administration civile des régions occupées en Moselle. Le public ne l’apprendra que le 7 août 1940. Il va rendre la vie dure aux Mosellans par de nombreuses décisions liberticides qui devront être respectées, sinon c’est la prison, souvent suivie de l’envoi en camp de concentration. 


L’annexion de fait


L’armistice est signé le 22 juin 1940. L’Alsace et la Moselle sont annexées de fait sans signature d’aucun document officiel et leurs habitants subissent pratiquement les mêmes décrets liberticides.

Les Allemands  sont entrés à Metz le 17 juin 1940 à 17 h et ont hissé le drapeau de la Wehrmacht sur la mairie. Le lendemain le préfet Charles Bourrat, son chef de cabinet Darrouy ainsi que le sous-préfet de Thionville  sont internés à la préfecture. Le 8 août, ils sont reconduits à la frontière de 1871, rétablie dès le 15 juillet 1940. 


Nouvelle administration allemande avec Joseph Bürckel


Dès le 18 juin 1940, pour obtenir le but final,  tous les moyens sont sont utilisés pour parvenir rapidement à l’objectif fixé.

Le 18 juin, les pendules doivent se mettre à l’heure allemande. 

Le 22 juin,  les boissons alcoolisées sont interdites à partir de 18 h. Celles de plus de 23 % sont interdites.

Le 24 juin, retour des enfants à l’école où on  leur apprend  des chants allemands. 

Le 4 juillet   la frontière est déplacée sur celle de 1871. 



Photo W


15 juillet première expulsion des Français de l'intérieur, des juifs, des assistés et des Nord-africains

Le 25 juillet la Gestapo, fait son entrée officielle à Metz. 


La Moselle doit devenir un vrai territoire allemand


Le  2 août 1940, par décret Hitler a donné plein pouvoir à Bürckel, membre des SS, chef de l’administration civile. Il doit  se référer uniquement à Hitler. 


Le 16 août 1940, Mgr Joseph Heintz, évêque de Metz est expulsé suite au fleurissement aux couleurs nationales françaises de la statue

Notre-Dame sur la place Saint Jacques

Septembre 1940: expulsion de 268 prêtres séculiers et 15  prêtres réguliers 

Le 25 septembre 1940, lors d’une conférence  le vrai but est fixé:

 « faire de l’Alsace et de la Lorraine en 10 ans des territoires totalement allemands ». 

Le 28 septembre 1940: les noms des localités  et les  prénoms en Moselle sont germanisés

Le 18 octobre 1940, par décret de Hitler, les directives du 25 septembre 1940 sont exécutoires.


Les nouvelles directives


   . La langue allemande devient langue officielle, 

  • Joseph Bürckel devient responsable de l'administration  civile de la  Lorraine (1871 à 1918), le 7 août 1940, en tant que gouverneur du Gau Westmark. 

  • Le Gau Westma
  • rk comprend le Palatinat, la Sarre et la Moselle. Son chef-lieu est Sarrebruck. 
  • En tant que chef de l’Administration civile, Bürkel était la plus  haute autorité. Il avait le

  •  droit de donner des instructions à la SD (Sicherheitsdienst, service de sécurité ), aux SS et la police.


  • Les 764 communes sont regroupées et ne font plus que 375.  La plupart des anciens maires

  •  sont remplacés par des Allemands. Les germanophiles pouvaient rester en place.  Les

  •  arrondissements sont transformés en 6 cercles suite à des fusions

  • Le 30  novembre 1940, la Lorraine est intégrée au Gau « Marche occidentale »

Interdictions et obligations


Hitler, en chargeant Bürkel à germaniser la Moselle en dix ans, un pays où l’on parle deux langues, le francique rhénan et le français qui a remplacé le roman, il se voit obligé d’expulser, d’exproprier, de  spolier et de transplanter des habitants remplacés par des Allemands. 


Il est très difficile d’avoir un accord  de la population dont chacun veut avoir une certaine liberté. C’est pourquoi, ils seront nombreux à ne pas vouloir  suivre toutes les consignes. Ce qui les a révoltés le plus, ce sont l’Arbeitsdienst (travail obligatoire), l’incorporation de force  des jeunes gens dans la Wehrmacht  et les transplantations des familles

C’est ainsi que des jeunes réfractaires  ont vécu cachés ou se sont engagés dans  les FFI.

Beaucoup de ceux qui ont critiqué les Allemands, n’ont pas envoyé tous leurs fils à l’armée, certains ont fait partie des filières d’évasion des prisonniers français.


Des sanctions inhumaines


La Gestapo dirigée par le général SS Anton Dunkern et Georg Hempen, chef du camp d’internement de Metz-Queuleu veulent faire respecter les décrets. 



L'entrée du Fort de Queuleu


Les réfractaires sont envoyés dans le fort de Metz Queuleu.  Les prisonniers  avaient toujours les yeux bandés, et les mains liées. La violence qui y fut exercée par des militaires à l’égard de civils est inimaginable, mais elle répondait à une politique délibérée d’anéantissement total de l’ennemi quelque soit son statut social, civil ou militaire. 




Le mémorial  du Fort de Queuleu


Les gardiens traitaient les prisonniers dans un déterminisme mortifère d’une féroce efficacité. Ceux qui arrivaient à survivre étaient ensuite envoyés dans un camp de concentration. Il en était de même à la Brême d’Or près de Sarrebruck, un camp de torture à court terme. A l’origine  il devait servir de « camp de rééducation par le travail » pour les récalcitrants de la STO. De 1940 à 1945

les Allemands ont  arrêté   

    - 7 761 Mosellans, 

    - 1 798 ont été emprisonnés,

    - 5 812 ont été déportés, dont 2 960 ne sont plus rentrés.


Les expulsions


En 1940, Burkel avait à réorganiser la Moselle. C’est ainsi qu’il fallait démobiliser les prisonniers de guerre lorrains et faire revenir les  Mosellans de la Charente, de la Vienne:
-    septembre 1940: 183 041 évacués  sont revenus, alors que 302 732 ont dû quitter la zone rouge

-    du 17 juillet au  18 septembre 24 210 Lorrains sont expulsés,     car ils sont juifs, africains, handicapés ou originaires de  la France de l’Intérieur. 

-     du 11 au 21 novembre1940, expulsion de 50 000 Lorrains  francophiles. Ils sont remplacés  par 





les habitants des 18 communes rattachées au camp de Bitche.  Ils ont envoyés dans les fermes et deviennent des Siedler. « Schnell, schnell, laissez tout su place, n’emportez qu’une valise, vous trouverez tout à votre nouvelle destination. »  disent les  militaires aux Bitcherlandais expulsés

652 familles du Bitcherland sont ainsi déplacées et habiteront dans les villages du Saulnois et la région de Metz et deviennent Siedler. Ils sont complétés par 1 898 familles allemandes originaires de la Sarre et du Palatinat. En décembre 1941, 613 Siedler retournent en Allemagne. On demande  à des habitants d’autres régions allemandes et du Buchenland en Roumanie. à venir s’y installer. De jeunes Polonais, Serbes et Ukrainiens sont placés dans les fermes comme commis, ils ne sont pas autorisés à manger à la même table que le gérant. Par contre, cette interdiction n'est pas respectée par les gérants originaires du Bitcherland. Cette colonisation de Bürckel obligatoire est un grand  échec.


La nouvelle réglementation 


-   Le 14 février 1941: l’allemand, seule langue officielle. Il est également interdit de porter un béret, de boire de l’alcool avant 18 h et les boissons alcoolisées de plus de 23° sont interdites…

-   1er mars 1941: Le franc est hors cours 

-   du 5 avril au 3 mai 7 819  Lorrains optent pour partir en France

-   le  23 avril 1941, introduction du service du travail obligatoire en Allemagne pour les filles et les garçons

28 juillet 1941: expulsion de 100 prêtres

29 août 1942; introduction du service militaire obligatoire dans l’armée allemande  



René Sprunck,  à droite, un Lorrain incorporé de force avec la classe 1926 en avril 1944. Il ne rejoindra famille que le 3 octobre 1945, alors qu'elle n'a plus de nouvelles de lui depuis août 1944.



Décembre 1942: 1 342   Lorrains ayant opté  pour la France partent pour la   France de l’intérieur. Ils doivent partir avant le 5 janvier 1943

10 janvier au 28 janvier 1943, 10 097 Mosellans indésirables sont transplantés dans les Sudètes. Ils sont répartis dans environ cent camps de travail, couvents désaffectés; des hangars, des baraquements.


La population après les expulsions


Au recensement de 1936, la Moselle compte 696 246 habitants,

En 1943, on recense  411 170  Mosellans, soit un déficit de 265 076. En plus, y habitaient 52 687 Allemands du Reich, 1 536 Volksdeutsche et 71 031 étrangers (Polonais, serbes, Ukrainiens, Roumains…) transplantés par les Allemands. 

En 1946, la population de la Moselle est à nouveau de 622 145, soit un déficit de 74 101.


Fin de la guerre


28 septembre 1944: décès suspect de Bürckel, remplacé le 4 octobre par Willi Stöhr

22 novembre 1944, Metz est libéré

Le 16 mars 1945, le Bitcherland, dernier bastion allemand est libéré par les Américains

7 mai capitulation de l’armée allemande à Reims


Tous les Mosellans dispersés dans toute la France et en Europe ne pensent qu’à rentrer à la maison, « in die Heimat »


Pour savoir, si on peut rentrer dans la maison qu’on a quittée, souvent dans de  très mauvaises conditions,   un membre de la famille  va voir. Certains trouvent une maison entièrement détruite ou vidée entièrement, pour d’autres elle n’est  pas trop endommagée, pour quelques uns, elle sera occupée par des transplantés  et la plupart particulièrement au Bitcherland  ne pourront rentrer qu’en 1946 quand les baraquements seront montés. Les familles, dont un ou plusieurs fils ont été incorporés de force dans l’armée allemande devront attendre plusieurs mois, voire parfois une ou deux années ou plus. Les libérations des Lorrains prisonniers des Russes ont duré parfois plusieurs années. Le dernier Jean-Jacques Remetter, alsacien, ne rentre qu’en avril 1955. 


Emprisonné durant dix ans dans un camp situé près de la frontière chinoise. Malgré-Nous, enrôlé de force en 1943, Jean-Jacques Remetter de Strasbourg combat sur le front russe avant d’être fait prisonnier par les Soviétiques. Après trois tentatives d’évasion, il rejoint les Partisans avant d’être jugé pour espionnage par les autorités soviétiques et condamné à 15 ans de travaux forcés dans l’univers concentrationnaire soviétique d’où il revient en 1955 en Alsace.


Bibliographie: 


  • La nazification de la Lorraine Mosellane 1940-1945 par Dieter Wolfanger
  • Analyse du livre  La nazification de la Lorraine Mosellane 1940-1945 par Henri Hiegel
  • « Raus! » avec 50 kilos de bagages et 2000 francs par Philippe Wilmouth
  • Les années noires de la Moselle annexée par Hitler par Bernard et Gérard Marec



                                                                  

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