Accéder au contenu principal

Le triste destin d'un FFI forcé à devenir un SS en 1943

 Alors que la Moselle est annexée de fait à partir de  juin  en 1940, 183 041  sur  302 732 reviennent de Charente et de la Vienne pour rejoindre leur village. Hélas 18 communes  du Bitcherland sont rattachées au camp militaire du camp de Bitche et ses habitants sont appelés à remplacer les Mosellans expulsés en novembre 1940 du Saulnois et de la région de Metz


Le triste sort, réservé aux nombreux habitants du Bitcherland,   expulsés le 21 novembre 1940 après leur retour de Charente, les a complètement déstabilisés. De plus, quand on est obligé  d’aller habiter  dans une ferme, dont les  propriétaires ont été expulsés  quelques jours avant parce qu’ils sont  francophiles et germanophobes, c’est ahurissant pour ces habitants du Bitcherland. 21 familles originaires de Volmunster, Eschviller, Weiskirch, Schweyen et de Breidenbach sont ainsi expulsés et transplantés à Louvigny près de Metz. 


La mésentente entre le père et le fils


 Daniel Beck et Jean Beck, deux frères habitants d’Eschviller, une annexe de Volmunster, font partie de ces familles.  Quand ils sont arrivés avec leur famille  le 21 novembre 1940 à Louvigny, les maisons  ne sont plus habitées, mais  le bétail est encore dans les étables et les écuries. Ce sont des jeunes du Arbeitsdienst (Service du Travail obligatoire) qui étaient chargés de soigner le bétail. Les deux familles habitent dans la même rue   face à face.   Les deux frères   avaient  épousé deux soeurs. Tout le monde s’entendait bien jusqu’au jour où Edmond, âgé de 20 ans,  fils aîné de  Edmond Beck, s’est révolté contre son père et ne l’a plus supporté. Il a alors passé  la journée  chez son oncle Daniel.


Edmond quitte la famille et le village 


Photo DR



 A la fin de l’été, Edmond fête ses 21 ans le 21 août 1943, il est majeur, il décide de prendre son destin en main. En accord avec sa  mère et son oncle Jean, il décide de quitter Louvigny et repart pour Sigogne en   Charente où la famille a été évacuée et où il a des amis. A ¨Paris,  il rencontre, l’ancien commis de ferme, un prisonnier français qui avait réussi à quitter l’Allemagne en faisant la belle.


Edmond rejoint les FFI


Arrivé en Charente, il rencontre les résistants  à l’occupant, les Forces françaises de l’Intérieur (FFI).  Londres demande aux FFI de donner des renseignements sur le terrain d’aviation de Frescaty, d’où s’envolent de nombreux bombardiers allemands. Ils veulent connaître le nombre approximatif  d’avions, le type d’avions, le stockage des bombes, etc.  Comme Edmond est bilingue et comme sa famille   habite non loin de la base. Il est tout désigné comme son  accompagnateur, originaire de Verny, non loin de Metz.


En mission en Moselle






Emile Beck avec son livre en 2020


Où va-t-il se réfugier quand il arrivera en Moselle? Chez son oncle Jean bien sûr. Tout le monde a été au courant de sa présence sauf son cousin Emile, âgé de 10 ans. A cette époque, tout ce qui a rapport à une irrégularité envers le régime de Hitler est puni. La Gestapo a l’habitude d’interroger les enfants qui disent la vérité.

Nous sommes au mois d’avril 1943, période de la plantation des pommes de terre. Alors que toute la  famille est dans les champs, il est demandé à Emile de les rejoindre. Quand il est revenu de l’école, il est allé déposer son lourd sac d’école à la maison avant de rejoindre ses parents dans le champ de pommes de terre situé à un kilomètre.


Edmond est découvert par un gendarme


En s’engageant dans le couloir sombre, qu’a-il vu  dans la pénombre,  un homme de dos monter l’escalier à toute allure. Aussitôt Emile a pris peur et a fait demi-tour pour rejoindre l’entrée, en criant tout fort: « Il y a quelqu’un dans la maison,  Il y a quelqu’un dans la maison,  Il y a quelqu’un dans la maison »

Un gendarme qui passait par la rue, a entendu l’appel d’Emile. Aussitôt le gendarme est entré dans la maison, emporte une  fourche qu’il a trouvé à l’entrée. En visitant toutes les pièces, le gendarme et Emile n’ont rien trouvé.Alors, le gendarme est monté au fenil. C’est là que le gendarme a trouvé Edmond, qui  est alors avancé  vers le gendarme. Aussitôt  il a regardé  son cousin en ne disant qu’un seul mot « Emile !»

Dans cette situation regrettable et dramatique cette interpellation d’Edmond ne pouvait être un reproche de désespoir.

Interrogatoire


Alors le gendarme a demandé à Emile s’il connaissait cet homme.

  •   Oui dit-il, c’est mon cousin Edmond.
  •   Où est ta famille
  •   Ils sont dans les champs, occupés par la plantation des pommes de terre.
  •   Bien, Tous les trois, nous allons les attendre devant la ferme. J’ai quelques questions à leur poser
  •   Ta famille, est-elle au courant de ta présence
  •   Non, je me suis introduit clandestinement cette nuit dans la ferme de mon oncle Daniel, et personne n’est au courant de ma présence.

Grâce à cette réponse pertinente, il a réussi à disculper toute la famille.

Après son interpellation, il a été interrogé à la gendarmerie allemande par des membres de la Gestapo. 

  •   Pourquoi vous vous êtes caché chez votre oncle, et pas chez vos parents?
  •   Je suis en très mauvais termes avec mon père. D’ailleurs, c’est la raison pour laquelle je me suis caché chez  mon oncle.
  •   Vous n’avez rien d’autres à nous dire.
  •   Non
  •   Passons un peu à la fouille de vos vêtements

Un gendarme fouille toutes les poches, et dans la petite poche pour la montre à gousset, il retire un papier et le tend à l’un des agents de la Gestapo qui essaie de déchiffrer

Quand Edmond constate la découverte, il commence à rougir. 

  •   Comme c’est écrit en français, vous allez me le traduire.
  •   Observer à  Frescaty, compter les avions de combat, les avions d’entraînements, les avions de chasse, les avions bombardiers, la re
  • mise des avions, l’endroit du stockage des bombes.
  •   Qui veut savoir tout cela?
  •   Les FFI
  •   Quels FFI?
  •   De Charente
  •   Eh bien nous avons fait une bonne prise aujourd’hui.
  •   Comme vos parents travaillent pour l’Etat allemand, on vous donne un moyen de vous en sortir de cette mauvaise situation.
  •   Quel choix?
  •   Vous avez trahi notre Führer, normalement, nous devons vous faire fusiller.  Comme  vous êtes grand et fort, je vous propose de signer  un document pour entrer dans la Waffen SS.
  •   Oh la la, ce n’est pas possible.
  •   La vie ou la mort.

 Quel dilemme, pour ce jeune garçon pris au piège dans la maison de son oncle. « Si je signe, j’échappe à la mort, tant pis pour les FFI, je ne peux pas refuser donc je vais signer » pense-t-il

  •   Bon, je signe.

Pour échapper à sa condamnation à mort, Edmond signe sur le champ son engagement volontaire dans la Waffen SS.


La déception de l’oncle


Quand son oncle apprend l’arrestation du jeune Edmond et son engagement dans les SS, il n’en revient pas. 

  •   C’est également un peu notre faute, on n’avait pas penser à ce que Emile  ne vienne pas directement dans les champs. On ne peut pas penser à tout.  Ah, cette sacrée guerre, qu’est-ce qu’elle va encore nous réserver? Il est temps que cette guerre se termine et qu’on puisse à nouveau rentrer à Eschviller. Il n’y a plus de liberté.  


 Edmond contre son gré chez  les SS


Edmond a dû se présenter le lendemain dans une caserne à Metz d’où il est envoyé dans un camp de formation SS en Allemagne. Il est revenu deux fois en permission chez son oncle où sa mère est venue le voir. Lors de ses conversations lors des permissions, son oncle Jean remarque très vite que son neveu n’est plus le même. Il se vante des faveurs et des privilèges réservés aux unités  SS par rapport  aux traitements des soldats de l’armée. Comme tous les SS, ils ont tous droit à un véritable lavage de cerveau. 


Edmond sait se taire

 

Par contre, malgré son attachement  à sa fonction de SS, il ne trahira pas les Lorrains du village qui sont connus pour leurs sentiments francophiles. Il est affecté au groupe d’assaut où il y a toujours le plus de tués. En 1944, son unité de combat est stationnée à Magny-Village (Moselle) où il tombera lors de l’attaque  des Américains le 9 novembre 1944. Il repose au cimetière allemand de Reillon (Meurthe et Moselle)


Emile Beck, se sentant un peu responsable de ce triste destin de son cousin Edmond en 2015, rapporte cette triste  histoire qui a changé le destin de son cousin  dans son livre « Quand Louvigny s’appelait Loweningen » et il conclut


Cher Edmond,

Puisse, après un si long, si insolite et si tourmenté parcours, ta sépulture, à jamais partagée, avec d’autres de tes compagnons d’armes, t’avoir accordé ENFIN! Le repos et la paix!

Ton destin particulièrement intrigant et fort, nous laisse  désormais, à travers nos recueillements attristés et nos respects, à jamais interdits devant le silence de la mort.







Joseph Antoine Sprunck


Bibliographie


  • Quand Louvigny s’appelait Loweningen par Emile Beck
  •   Les années noires de la Moselle annexée par Hitler par Bernard et Gérard Le Marec

Posts les plus consultés de ce blog

Les épreuves subies pendant et après la guerre de 1939-1945 par une famille lorraine

C’est l’histoire authentique d’une simple famille paysanne du Bitcherland ou l'Itinéraire d'un jeune  durant la guerre Quand Antoine Sprunck, cultivateur, âgé de 45 ans, père de 5 enfants, habitant d’Ormersviller (Moselle), situé à la frontière sarroise, à 11 km au nord de Bitche, est mobilisé le 23 août 1939 au 23 ème SIM à Dieuze (Sud de la Moselle), il ne se doute pas qu’il ne pourra pas exploiter sa ferme d’une quinzaine de hectares pendant sept ans.      Il quitte Ormersviller avec le “Poschtauto” Jost, prend le train à Bitche, puis à Sarreguemines pour Dieuze, où il reviendra fin 1944 avec sa famille après une longue pérégrination.  Il ne retournera avec sa famille habiter dans son village natal que le 1er avril 1946. Après avoir déménagé huit fois, il n’emménagera qu’en 1954 dans sa maison reconstruite.   Antoine avec ses deux chevaux dans la cour pavée devant l'écurie. Son fils René, âgé de 13 ans, monte un cheval en 1939. La mobilisation  En 1939, Antoine est père

Guerre d'Algérie: témoignage d'un ancien appelé du contingent de 1961-1963

En 1962, je ne me promenais pas au Bitcherland, mais j’étais en Algérie avec 400 000 autres appelés pour combattre les Fellaghas et l’OAS. C’était pour le maintien de l’ordre, mais en réalité c’était une guerre qui a duré 8 ans de 1954 à 1962. Le rêve d'une "décolonisation en douceur" Pourtant  Ferhat Abbas voulait une  décolonisation en douceur".  C'est pourquoi il  publie e n 1943,  le " Manifeste du peuple algérien ", qui réclame  l’égalité entre Musulmans et Européens, une réforme agraire, la reconnaissance de la langue arabe et une "République autonome" . Puis il jette l’éponge en 1951.   " Il n’y a plus d’autres solutions que les mitraillettes" , s’attrista-t-il. " Toute sa vie, Abbas aura rêvé d’une décolonisation en douceur" ,     écrit Charles-Robert Ageron dans   Genèse de l’Algérie algérienne  . Le maintien de l'ordre se transforme en guerre  Elle a opposé l'armée française à des insurgés nationalistes al

La riche histoire d'Eschviller contée par Auguste Lauer

Auguste Lauer , instituteur d'Eschvil ler membre fondateur de la Société d’histoire et d’archéologie de la section de Bitche, a enseigné de 1932 à 1936 à Eschviller. Il était originaire de Saint-Louis-lès-Bitche. Il était chevalier   des Palmes académiques et lauréat de l'Académie de Metz. L'école d'Eschviller avait deux salles de classe  Très intéressé par l’histoire locale, il a mené comme son collègue Paul Glad à Bousseviller, des recherches historiques sur Eschviller. Avant guerre, Auguste Lauer et son épouse, née Anne Schwartz, enseignaient dans les deux classes à Eschviller, annexe de Volmunster. Nous avons retrouvé un texte écrit en allemand très intéressant qui est une synthèse de nombreux documents connus en 1936. Il nous apprend mieux ce que les habitants d’Eschviller et de la région ont dû subir sous le joug des seigneurs, à cause des guerres et des invasions. Nous l’avons traduit en français pour vous faciliter la lecture. L