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Une procédure vexatoire en Alsace et Moselle durant 80 ans

 




En 1958, Joseph Antoine Sprunck, né le 26 février 1939 à Bitche (Moselle) a passé   le concours à l’entrée de l’Ecole normale d’instituteurs de Montigny-lès-Metz. Pour pouvoir y participer, il fallait d’abord fournir un Certificat de nationalité française, délivré par  le greffier du Tribunal d’Instance de Bitche. Pour l’obtenir, il fallait fournir l’extrait du registre des personnes réintégrées de plein droit dans la qualité de Français en exécution du Traité de Paix du 28 juin 1919 signé à Versailles.  





Cet extrait a été fourni par la mairie d’Ormersviller où mon père était né le 1er décembre 1896.  





La fille de Antoine Sprunck a également dû fournir le certificat de nationalité française  afin de pouvoir enseigner dans les écoles  maternelles et élémentaires

La bizarrerie de l’administration française


Mon père, Antoine Sprunck a été mobilisé  dans l’armée allemande de  1916 à 1918. 




Antoine mobilisé en 1916 dans l'armée allemande à Verdun



et en 1920 il portera l'uniforme français lors d'une période militaire à Sedan,  puis il a été mobilisé le 23 août 1939 dans l'armée française



Le fils René Sprunck est mobilisé le 16 mars 1944 dans la marine en Norvège, il ne rentre  de captivité que le 3 octobre 1945 alors que ses parents n'ont plus de nouvelles de lui depuis de 30 septembre 1944, date de l'évacuation de la famille à Nancy


En août 1939, père de cinq enfants, il a été mobilisé dans l’armée française le 23 août 1939 au 23 ème  SIM à Dieuze (Moselle). 

Son épouse Agathe est évacuée à Brie (Charente) le 1er  septembre 1939 où les pères de quatre enfants n’étaient pas mobilisés. Agathe en parle au maire de Brie qui va intervenir  et Antoine va réclamer au bureau des effectifs. Le lieutenant Tappert, originaire de Sarreguemines intervient à plusieurs reprises.  Hélas, l’administration militaire n’est pas rapide, il lui faudra quatre mois pour prendre la décision pour le démobiliser. Pour Noël, Pierre Antoine Sprunck est renvoyé dans ses foyers. Pour être mobilisé, il n’avait pas besoin de présenter le certificat de Nationalité française, ni   l’extrait du registre des personnes réintégrées de plein droit dans la qualité de Français.

Il est titulaire de la carte de combattant



et son fils Joseph Antoine n’en pas eu besoin non



Joseph Antoine Sprunck en tenue de sortie lors des classes au 164 RI de Verdun plus pour participer pendant 11 mois au maintien de l’ordre en Algérie comme appelé. Durant  la guerre d'Algérie  il remplissait les fonctions de chef de bureau du PC Colonel au 15/1 R. I. Il est seul  autorisé à ouvrir le courrier, même ultra secret. Il a été libéré le 28 février 1963. Le 1er mars 1963, il est nommé directeur de l'école de garçons de Volmunster.


Les inégalités


En 1982, une fille de 21 ans se présente à la mairie de Volmunster pour avoir un logement. Pour le dossier, le secrétaire lui demande sa carte d’identité allemande, car elle ne parle que l’allemand. Elle lui présente  une carte d’identité française. Le secrétaire trouve cela bizarre et il lui demande des explications:

« Mes parents ont campé dans la région de Puttelange-aux-Lacs où ma mère a accouché. Comme je suis née en France, je suis française.' a-t-elle répondu.  


Carte d’identité délivrée durant la guerre


Antoine Sprunck, né 1er décembre 1896, est né allemand, devient français en 1919, redevient allemand en 1940 et français le 5 octobre 1944. 

Antoine Sprunck et sa famille sont évacués à Nancy le 30 septembre 1944  par les Américains, six jours après, le 5 octobre 1944  le commissariat de Nancy lui délivre une carte d’identité française, car le commissaire connaît bien la situation des Mosellans expulsés du Bitcherland.




 
Suppression


Ces demandes scandaleuses et vexatoires  ont duré 80 ans pour les Alsaciens et les Mosellans  et ont seulement été supprimées par la circulaire n° 98/14 du 26 août 1998 du Ministère de la Justice (n° NOR : JUS/C/98/20514.) Cette circulaire demande enfin de ne plus exiger, en règle générale, la production d’extraits du registre des réintégrations des ascendants alsaciens ou mosellans pour apporter la preuve de sa nationalité française. Enfin,   80 ans après le traité de Versailles, les personnes réintégrées ou les descendants de celles-ci n'ont plus besoin justifier leur nationalité française.


Cette procédure a été supprimée, car 80 ans après le traité de Versailles, ceux de plus de 80 ans n'ont  plus besoin de certificat pour terminer leur retraite.


Le registre de réintégration


Au lendemain de la Première Guerre mondiale, l’Alsace-Moselle est restituée à la France par le Traité de Versailles du 28 juin 1919. Cette restitution s’accompagne de différentes mesures de réintégration dans la nationalité

française, à savoir :

« A dater du 11 novembre 1918, sont réintégrés de plein droit dans la nationalité française :

1° Les personnes qui ont perdu la nationalité française par application du Traité franco- allemand du 10 mai 1871, et n’ont pas acquis depuis lors une nationalité autre que la nationalité allemande ;

2° Les descendants légitimes ou naturels des personnes visées au paragraphe précédent, à, l’exception de ceux ayant parmi leurs ascendants en ligne paternelle un Allemand immigré en Alsace-Lorraine postérieurement au 15 juillet 1870.

De plus, en application de ce traité, la population d'Alsace-Moselle a été divisée en quatre catégories pour l’obtention de papiers d’identité : A, B, C, D.

La carte A était délivrée aux Alsaciens et Lorrains qui avaient la nationalité française avant 1870 ou à ceux dont les parents ou grands-parents étaient dans ce cas.

La carte B était délivrée à ceux dont l'un des parents est d’ascendance étrangère.

La carte C était délivrée à ceux dont les deux parents sont originaires d’un pays allié ou neutre.

La carte D était délivrée aux populations qualifiées d’« indésirables », Allemands et Austro-hongrois, ainsi qu’à leurs enfants – même nés en Alsace-Lorraine.


La procédure employée


Quand ces registres arrivent en mairie, l’appariteur passe dans le village pour annoncer à la population:"Pour redevenir français, le chef de famille doit passer en mairie avec son livret de famille pour l’inscription sur le registre. Il a également le droit d’y inscrire les personnes vivant à son foyer, soit des parents, soit les commis ou autres personnes nées en Moselle ou en Alsace." 


Les oubliés


Vers 1904, la famille Schwalbach d'Ormersviller, part en Meuse pour gérer une ferme. Lors de la mobilisation de 1914 ses  fils s'engagent dans l'armée française en prenant la précaution de changer de nom. A son retour, un fils va en mairie pour pouvoir se marier avec  une fille de la commune 

- Impossible, dit le maire, vous êtes allemand 

- Mais j'ai servi dans l'armée française 

- Mais vous êtes resté allemand, il faut d'abord vous faire naturaliser français. 

Il a  dû attendre un an pour se marier, car la procédure de la naturalisation  mettait autant de temps


Jacques Léonard refuse l'inscription au registre





Jacques Léonard Meyer et son épouse, née Marie dite Monique Andrès.


Jacques Léonard Meyer, né le 30 janvier 1869 à Ormersviller (Moselle), beau-père d'Antoine Sprunck, est né français. En 1919, il n'est pas allé à la mairie de Bitche pour être inscrit sur le registre des personnes réintégrées de plein droit. Quand sa fille Antoinette qu'on appelait Valérie, née le 10 novembre1901 à Ormersviller est allée faire renouveler sa carte d'identité dans les années 1980, la mairie de Reichshoffen a exigé l'extrait du registre des personnes réintégrées. Comme la famille habitait depuis 1914 à la ferme Ochsenmuhle, un écart de Bitche, Valérie réclama ce certificat à la mairie de Bitche. Le secrétaire général de la mairie lui a alors annoncé: " Votre père a refusé de se faire inscrire en disant: "Je suis né français, je n'ai pas demandé à devenir allemand, donc je refuse  de m'y inscrire"  Comme il est  décédé à Bitche le 28 août 1946, il a changé quatre fois de nationalité   D'ailleurs ses deux fils Jacques et Albert ont fait le service militaire français et ont été mobilisés en 1939 alors qu'ils n'étaient pas inscrits au registre.


 

Joseph Antoine Sprunck

le 21 décembre 2021


                                                             

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