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Nous n'oublions pas

 La guerre d'Algérie n'a été reconnue comme telle qu'en 1999, soit 37 ans après l'indépendance de ce pays. Ce conflit fratricide s'est achevé par l'exode précipité de centaines de milliers de Français de souche européenne, l’abandon coupable des Harkis à leur sort tragique, avec une armée déchirée par l'amputation d'une partie du territoire, des soldats "perdus" contraints de choisir entre le respect de la parole donnée à la population musulmane de la protéger et le déshonneur du reniement par l’obéissance aux ordres.


70 ans après la Toussaint rouge du 1er novembre 1954, les appelés ayant combattu en Algérie arrivent au terme de leur vie. La plupart d'entre eux emporteront leurs secrets dans leur tombe. Mal préparés à cette guerre sans nom, marqués à jamais par ce qu'ils ont vu, subi, parfois été contraints de faire malgré le haut-le-cœur de leur conscience face à la torture, ils se sont tus sitôt remis les pieds sur le sol de France. La guerre d'Algérie provoque aujourd'hui encore ce chaos mémoriel. C'est un écran qui cache quelque chose de difficile à raconter parce  que lié à la décolonisation. 


Photo JAS

La tour de garde à Kellermann où l'on montait la  garde et à l'arrière les mechtas du regroupement

En Algérie, les fellaghas utilisaient la terreur pour amener la population musulmane à se rallier à leur cause, de gré ou de force. Les soldats français qu'on envoie là-bas, en majorité des appelés du contingent, découvre qu'on les expédie dans le djebel pour y mourir.


Les appelés n'oublient pas


Aujourd'hui, les apôtres du politiquement correct, dignes héritiers des porteurs de valise du FLN, se taisent. Certains médias s'acharnent à pratiquer la désinformation, à déconsidérer notre génération du feu. Ils oublient l'ouverture des écoles ou encore l'assistance médicale gratuite. Nous, les appelés, nous n'oublierons jamais. Nos souvenirs sont

intacts : les dates, les noms de lieux, les embuscades meurtrières, les nuits de garde, quand

les bruits insolites alimentent la peur, les opérations, les blessés, les copains morts à nos côtés. La même camaraderie perdure entre nous, malgré l'usure du temps. Nos porte-drapeaux, lors des défilés patriotiques, ont toujours la même fierté de porter un bout de la France à la pointe de leur étendard. Ils honorent nos morts et, avec eux, nous n'oublierons jamais nos camarades, tombés là-bas au printemps de leur vie. Nous n'oublions pas nos camarades prisonniers du FLN. Un quart d'entre eux seulement est revenu parmi le millier tombé aux mains des rebelles. Les autres ont disparu, morts d'épuisement ou égorgés. Les détenus, les mains liées dans le dos et attachés propos les uns aux autres, suivaient leurs geôliers à marche forcée sur les cailloux, souvent pieds nus, qu'il vente, qu'il pleuve, qu'il neige. Les traînards recevaient des volées de coups de bâton ou étaient abattus. On leur infligeait les corvées les plus ingrates et, dans les douars traversés, les femmes n'hésitaient pas à les humilier et à en rajouter au supplice des soldats captifs. De retour dans leur foyer, les rares survivants ont été l'objet de l'ingratitude des pouvoirs publics et de l'indifférence de leurs concitoyens. Certains ne s'en sont jamais remis.


Le triste sort des harkis 


Nous n'oublions pas nos camarades harkis et nous sommes écœurés par l'attitude de notre pays qui les a abandonnés à leur triste sort. Au moment du « cessez-le-feu », le 19mars 1962, on les a désarmés, renvoyés chez eux avec leur solde. Lors du départ, tout le monde a été dirigé vers les camions où les soldats européens ont pris place en premier.

Les moteurs tournaient. L'officier a grimpé dans la Jeep en ordonnant de démarrer. Les harkis, surpris,

se sont mis à courir, ils s'agrippaient au camion, l'ordre a été donné de les refouler à coups de

crosse. Un sous-lieutenant se souvenait :

« L'hiver d'avant, j'avais dit à Larbi que je ne t’abandonnerai jamais, j'étais parfaitement

sincère. Il m'a cru. La guerre finie, je l'ai retrouvé

égorgé ». Les rares évadés de l'enfer de la vengeance subie par les harkis qui ont pu fuir l'Algérie ont été traités comme des bêtes dans les camps de regroupement du sud de la France. C'était là une injustice criante envers des hommes dont bon nombre avaient servi loyalement la France. La guerre d'Algérie a ceci d'étrange qu'elle n'a fait que des perdants. Les anciens combattants ont été blessés dans leur corps et dans leur âme. Les pieds-noirs, bercés dans leurs illusions, ont perdu leur soleil africain et leur art de vivre d'outre-Méditerranée.

Les harkis ont tout perdu. Ceux qui ont échappé aux massacres se sont retrouvés au bas de l'échelle de la

reconnaissance par la France qui n’a pas cessé de leur mentir. Les Algériens eux-mêmes, s’ils ont gagné leur indépendance, ont perdu l’espoir d'être considérés en citoyens, et ils errent dans un semblant de démocratie. Aujourd'hui le gâchis continue, avec les « Je t'aime moi non plus » de populations à l'histoire et au destin étroitement mêlés.  Dans l'océan d’incertitude où baigne notre société, l'esprit patriotique qui prévaut chez les anciens combattants d'Algérie est un exemple pour toute la jeune génération en mal d'horizon.  


Roger Albert, UNC-85


Ce texte a été publié dans le magazine "La voix du combattant". Les sous-titres ont été ajoutés par Joseph Antoine Sprunck, ancien combattant d'Algérie, qui a vécu la guerre, le regroupement  de la population locale,  le cessez-le-feu, le renvoi des harkis, l'OAS,  le référendum de l'indépendance, le départ des pieds-noirs, l'envoi des harkis en France et le rapatriement du 151. ème RI.

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